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L’impulsion a été donnée par les Thibault de Roger Martin du Gard, dont le début, le Cahier gris, a extrêmement impressionné les lecteurs et les confrères de l’auteur, et dont le succès a été pour quelque chose dans la mise en chantier des cycles actuels. La suite, et surtout la longue interruption, ont inquiété, et ce premier exemple a été aussi pour quelque chose dans la réserve relative du public à l’égard de ces entreprises, réserve qui n’a d’ailleurs aucune importance, vu qu’elles ont besoin de temps et de recul pour se classer.

Georges Duhamel peut passer pour une personnalité très représentative du roman-cycle, vu qu’il en a produit deux. Les quatre Salavin constituent en effet un cycle du premier genre, soit à la mesure d’un homme individuel, d’une Vie et Mort de Salavin, d’une grande monographie par le dessous, celle du petit mystique, comme les naturalistes avaient le petit bourgeois et le petit employé. La Chronique des Pasquier, dont un volume paraît régulièrement chaque année en octobre, est l’histoire d’une famille de petits bourgeois et de petits intellectuels, admirablement accordés sur la durée française, et dont le lecteur attend sans impatience qu’elle fournisse son homme de génie.

Une famille analogue exposée au long d’une durée, et d’un art tout différent, par Robert Francis, dans son Histoire d’une Famille sous la Troisième République, mérite plutôt le nom de roman-fleuve que de roman-cycle ; tout, style, personnages, vie intérieure, s’y mobilise et s’y meut en effet dans une extraordinaire liquidité.

Tiendra-t-on pour un roman-cycle les quatre volumes des Hauts Ponts, de Jacques de Lacretelle ? Probablement. Ils se passent dans un secteur limité et précis : trois générations d’une famille plus ou moins en décadence, la première qui est évincée de son domaine, la seconde qui s’efforce de le racheter, la troisième qui le perd définitivement. Le cadre est la Vendée, mais seulement parce qu’il faut qu’il y en ait un : le cycle n’est destiné qu’à mettre à la lumière du roman un cas psychologique qui concerne une famille, comme Silbermann et la Bonifas exposaient dans le même système de transpositions le cas d’un individu.

La famille naît du couple. Le roman d’une famille dans les