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avec les besoins de la nature humaine. C’est au témoignage unanime des hommes qu’il est donné de les consacrer, c’est par la comparaison des diverses littératures qu’on peut arriver à les reconnaître. Il y a aussi des beautés relatives qui n’en sont pas moins réelles pour être appropriées à certaines circonstances locales, pour être dans un rapport particulier avec les mœurs, les institutions, les penchants et les émotions habituelles d’un peuple. L’étude de ces beautés relatives n’est pas moins nécessaire. »

Rôle de Schlegel.
Degérando était un philosophe : sa distinction de l’absolu et du relatif en matière de goût et de critique ne manquait ni de pertinence ni de fécondité. C’est aussi un philosophe, l’introducteur de Kant en France, l’émigré Charles de Villers, qui publie à Munster, en 1806, une Érotique comparée, soit De la manière essentiellement différente dont les poètes allemands et français traitent l’amour. Elle fut, malgré son titre, beaucoup moins lue que la célèbre Dissertation que G. Schlegel donne à Paris, en français, en 1807, Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d’Euripide, qui, attaquant violemment le théâtre français, provoque des réponses véhémentes dans le Journal de l’Empire, cependant qu’un vieux précurseur du romantisme, Sébastien Mercier, appuie Schlegel, l’année suivante, par ses Satires contre Racine et Boileau.
Définition de la Romantique.
Le romantique, épithète vague qui flottait depuis Rousseau entre la nature et la littérature, se précise alors en un système littéraire qui est la Romantique, traduction de la die Romantik allemande. La romantique allemande, expliquée surtout par Schlegel, peut passer pour un racisme littéraire. Le monde moderne, selon la Romantique, procède de la conquête germaine et du christianisme. Dans leur pays originel, l’Allemagne, mais plus encore dans les pays romains où leur génie féconde et renforce des populations amollies, les vertus germaines, l’amour de la liberté et de la justice, le respect des femmes, aboutissent à l’institution de la Chevalerie. La chevalerie dégage une poésie, vouée à Dieu, à la valeur, aux dames, avec un décor autochtone de châteaux, de forêts, de sorciers, d’enchanteurs, poésie longtemps informe, qui eût à