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la longue tourné en une grande littérature romantique, qui y tourna réellement avec Dante, mais qui, sur la plus grande partie de son front fut arrêtée, refoulée, déviée, à partir de la Renaissance, par l’imitation des Grecs et des Latins. La France littéraire, l’Europe en tant qu’imitatrice des imitations françaises, furent victimes de cette déviation. L’Angleterre et l’Espagne, mieux défendues par la mer et les montagnes, ont mis au jour, dans le génie de Shakespeare et de Calderon, à la veille de l’invasion classique française, le meilleur de cette Romantique. Aux temps actuels de continuer cet effort. Aux Germains de se créer une littérature conforme à leur propre antiquité ! Aux peuples romans de reprendre contact avec les vertus, l’art, la poésie, les légendes de leur moyen âge ! La Romantique servira même la cause de l’hellénisme vrai, fera redécouvrir un Homère, un Eschyle, un Euripide originels et originaux par delà les déformations utilitaires qu’ils ont subies chez leurs imitateurs classiques.

La Romantique schlegelienne, qui faisait ainsi de l’Allemagne, de l’Angleterre et de l’Espagne, les trois massifs de la vraie littérature moderne, et qui paraissait encercler agressivement le classicisme français, ne pouvait qu’exciter en France, à l’époque impériale, sous le règne du contrôle et de la police, les défiances et les foudres du pouvoir. Elle pénètre surtout par la trouée suisse et le cercle de Coppet. Albert Stapfer, en 1812, la présente sympathiquement aux Français dans sa préface à la traduction de l’Histoire de la Littérature espagnole de Bonterwerk. Ce Bernois y définit la romantique « un genre de poésie né du génie même des peuples modernes, ayant pour base la Bible, la légende, l’histoire héroïque et merveilleuse de nos aïeux, se nourrissant de l’esprit local et inhérent au terroir, et peignant les maux, les aventures, les hauts faits indigènes. »

Génie de la Romantique
et Génie du Christianisme
.
Il s’agit là d’un autre Génie du Christianisme, dont l’influence relayera et secondera celle du Génie de Chateaubriand, mais dont l’esprit lui est fort opposé. Chateaubriand en effet, dans son inventaire et ses restaurations des valeurs du passé, reste un classique. Sa réaction contre le XVIIIe siècle se fait au nom du XVIIe de Corneille et