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Le poète étudiant.
Étudiant de l’antiquité, disciple de Brunck, dont les Analecta sont un de ses livres de chevet, ce qu’ont été les Odes anacréontiques pour les poètes de la Pleïade. Ce qu’il fait passer du vers grec de Théocrite ou de l’Anthologie dans la structure du vers français est extrêmement délicat à doser, et ne va pas bien loin ; d’autant plus qu’il s’inspire et ne traduit pas, et qu’il ferait plutôt, quoi qu’il en ait dit, des vers nouveaux sur des sujets antiques, Mais, étant entendu qu’il ne saurait exister pour nous qu’une Grèce littéraire transposée dans les livres, et que nous devons la tenir pour un substitut non seulement nécessaire, mais bienfaisant, de la Grèce réelle qui nous est inconnue, la poésie de Chénier a transporté dans la poésie française ce que les livres nous font imaginer de plus grec, et même de plus athénien (n’exagérons pas son côté alexandrin) : la mesure, la grâce, la mélodie de la vie dans un bois d’oliviers, la musique des êtres, leur passage éternisé dans les stèles, la capture de mouvements, de figures, de scènes, d’humanité, par lesquelles la poésie devient rivale de la peinture — de sorte que l’image des carnets de croquis et des cartons d’études serre ici exactement la réalité. Shakespeare, Gessner, la nature vue directement, les sources des livres et celles de la terre se transposent chez André Chénier en une forme plastique et diaphane, qui devient une sorte de langage général de la poésie comme elle l’était chez Racine. Mais les chefs-d’œuvre sont naturellement les morceaux purement grecs, par le sujet et par l’allure : le Malade, la Jeune Tarentine, le Mendiant, Néère, Hylas, l’Aveugle. Il y a par eux un atelier de Chénier, comme il y a un atelier de David. La découverte de l’atelier de Chénier, en 1819, ressemble pour la génération romantique, à ce qu’avait été la découverte d’Herculanum pour la génération de Chénier lui-même : un monde de formes, arrêté et immobilisé par une catastrophe, rendu brusquement à la lumière, et qui devient école, ou qui plutôt le redevient.

Étudiant de la nature. Autant la nature est stylisée dans l’œuvre didactique de Chénier, autant elle est rendue fraîchement dans ses cahiers d’études. Il a aimé, goûté, évoqué la campagne, par des vers jaillis de l’intérieur, comme La Fon-