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est précisément le pays de l’Église nationale et des « sectes », ni avec une autre maison de Bourbon puisque l’Angleterre, à qui est échue une chaîne de rois aussi incohérente et mauvaise que la nôtre était en général excellente et suivie, a dû se constituer plutôt contre ses rois, tyrans, papistes, étrangers ou fous, que par ses rois. Et les infiltrations anglo-saxonnes dans le catholicisme (Newman, l’américanisme) et dans les idées françaises (régime parlementaire) d’ailleurs déplorées par M. Maurras, sont beaucoup plus évidentes que les infiltrations inverses. Ainsi M. Lloyd Georges fut longtemps pour le journal de M. Maurras (avec cette manie potachienne des sobriquets qu’affectionne l’Action Française) le « prédicant gallois Lloyd George » et M. Maurras ne pouvait pas le souffrir. Il prévoyait que « l’Angleterre prédicante et biblomane du XVIIe siècle peut reparaître au XXe, mais à condition de tout compromettre et de tout gâcher de ce qui la fît prospère et puissante[1] ». Ne sont-ce pourtant pas, évidemment, des vertus de l’Angleterre d’autrefois, analogues à celles dont fut cimentée l’armée de Cromwell, qui ont désigné Lloyd George, contre le vent parlementaire anglais lui-même, comme le pilote de l’idée anglo-saxonne en son grand péril, en même temps que Clémenceau achevait la guerre par son entêtement de bleu de Bretagne ? (Michelet, dans son Tableau, loue le granit celtique d’avoir toujours fourni à la France des têtes plus dures que le fer de l’étranger.)

Et la Prusse ! Suffit-il que les Hohenzollern aient été, comme les Capétiens, des rassembleurs de terre pour qu’ils soient taxés de « plagiat ? » L’origine la plus apparente de la grandeur prussienne consiste dans une idée en somme protestante, celle de la liberté de conscience. Tandis que Louis XIV, et des princes allemands qui se faisaient gloire de l’imiter, prétendaient ne plus vouloir chez eux de sujets qui ne fussent de leur religion, et ce conformément aux droits des rois reconnu à Augsbourg, les Hohenzollern souverains d’un pays pauvre, rois calvinistes d’un peuple en majorité luthérien, peuplèrent leur Brandebourg et leur Prusse avec des sujets indésirables pour les souverains fanatiques, mais très désirables pour des princes qui ne songeaient, selon la formule du roi-sergent, qu’à faire ein Plus. Si M. Maurras veut dire qu’ils ont en effet « plagié » Henri IV et que la liberté de conscience est une idée française, s’il évoque le Béarnais et Michel de l’Hospital, j’y souscrirai, mais le dira-t-il ? Quand les

  1. Kiel et Tanger, p. 142.