Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/120

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M. Maurras, dans les rallonges qu’il apporte aux exposés de Comte, n’en est pas embarrassé.

« C’est, dit-il, en se recatholicisant dans une très large mesure, je veux dire en appliquant à leur système certains principes de politique empruntés à la catholicité que jadis la Grande-Bretagne, plus récemment la Prusse, sont revenues à un état de puissance civilisée et civilisatrice. On ne saurait trop engager les nationalistes français à considérer ces exemples et surtout à ne pas les comprendre à rebours : ce n’est pas d’avoir rompu avec Rome, c’est d’avoir plagié certaines grandes idées romaines et françaises, que grandirent Londres et Berlin. Les nationalistes français qui ne verraient pas ce grand point risqueraient plus qu’une faute. Ils commettraient un véritable crime contre leur patrie, traduisons mot à mot, contre le sang des pères, contre les os même des morts[1]. » Ces adjurations pathétiques tiennent la place des preuves dont M. Maurras n’a garde d’étayer ce qu’il affirme. « Certaines grandes idées romaines », « certains principes », cela paraît tout le contraire d’idées et de principes bien certains.

D’autre part voilà que M. Maurras nous explique ailleurs les maladies des pays catholiques par l’infiltration des idées protestantes, c’est-à-dire de la Germanie « à l’état de protestation » contre la culture romaine. « La Grèce, l’Espagne, l’Italie d’aujourd’hui, la Dacie elle-même, où les dialectes latins se sont gardés assez purs, ont été plus subjugués encore que notre France par le germanisme des cent cinquante dernières années… Dans toute l’Europe méridionale, la haute société représentée par les cours, les compagnies savantes représentées par les universités, ont subi la civilisation des Anglo-Saxons ou se sont rattachées à la médiocre demi-culture des Allemands[2]. »

Ainsi les pays catholiques seraient en décadence simplement parce qu’ils sont devenus à moitié germaniques, c’est-à-dire protestants, et les pays protestants en progrès parce qu’ils se sont refaits à moitié catholiques. Cela me paraît ressembler un peu aux tours de passe-passe de Faguet. Mais alors ? Patere baculurn quem ipse tuleris… Et quelles sont ces idées romaines et françaises que Londres et Berlin auraient « plagiées ? » L’idée centrale du patriotisme anglais, c’est précisément la haine et du papisme et de la maison de Bourbon, et ils ne les ont combattus ni avec un autre papisme, puisque l’Angleterre

  1. La Politique Religieuse, p. 274.
  2. Le Romantisme Féminin, p. 223.