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primer », celle de philo, et envoyez aux Carrières ces agrégés de philosophie, ce cénacle de M. Renouvier, desquels en les temps derniers de sa vie Brunetière se plaignait amèrement parce qu’ils s’étaient refusés à prendre au sérieux ses fantaisies de parler et de trancher tout simplement sur Kant.

J’entends bien que M. Maurras ne dénonce jamais un mal sans indiquer le remède ou tout au moins sans l’avoir tout prêt dans sa pensée. Signalant une prétendue conjuration huguenote dirigée dans le haut enseignement, contre Fustel de Coulanges, par Gabriel Monod, il continue : « En philosophie, notamment, les docteurs et commentateurs du Kantisme procédaient aux mêmes savants efforts d’obscurcissement et recevaient la même protection de l’État pour défendre l’honneur de la Déclaration des droits de l’homme que menaçaient vers la même époque l’avènement du positivisme français et la Renaissance du thomisme dans les chaires catholiques. Les étudiants en Sorbonne ont avoué qu’il y avait comme une tenture abaissée pour eux au devant des doctrines de Fustel, d’Auguste Comte ou des anciens scolastiques[1] ». Je puis assurer, en passant, M. Maurras que les étudiants en Sorbonne qui lui ont « avoué » cela ou bien l’ont mystifié ou bien avaient étudié sur les banquettes du Balzard et de la Source de préférence à la salle H et à l’Amphithéâtre Guizot. C’est l’exécuteur testamentaire et l’éditeur de Fustel de Coulanges, M. Camille Jullian, qui occupe au Collège de France la chaire des Antiquités Nationales, et les ouvrages de Fustel n’ont jamais été, pas que je sache, bannis de la bibliothèque de l’Université ni de ce vieil Albert Dumont. Auguste Comte serait mal venu à se plaindre. Quand on créa, au même Collège, l’enseignement d’Histoire générale des Sciences, c’est son successeur, Pierre Laffitte, qui fut nommé par le Ministre, et après la mort de Pierre Laffite, c’est un autre chef du positivisme, M. Wyrouboff, qui, sans y être le moins du monde désigné par sa valeur, et simplement comme représentant de la rue Monsieur-le-Prince, se vit attribuer la chaire contre Jules Tannery. Le livre le plus clair et le plus sympathique sur la philosophie de Comte fut écrit par M. Lévy Bruhl et professé en Sorbonne avant d’être publié. Quant aux scolastiques, ils n’avaient jamais été à pareille fête. Les interlocuteurs de M. Maurras eussent été accueillis avec joie par M. Picavet, titulaire en Sorbonne de la chaire d’histoire des philosophies médiévales, et ils eussent assouvi

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 95.