mais il leur faut de l’ordre dans leur pensée, de l’ordre dans leur vie, de l’ordre dans la société dont ils sont membres. Cette nécessité est sans doute commune à tous nos semblables : elle est particulièrement vive pour un catholique, accoutumé à recevoir sur le triple sujet les plus larges satisfaction. Un nègre de l’Afrique ne saurait désirer bien vivement cet état de souveraine ordonnance intellectuelle et morale auquel il n’eut jamais accès. Un protestant, fils et petit-fils de protestants, s’est de bonne heure entendu dire que l’examen est le principe de l’action, que la liberté d’examen est de beaucoup plus précieuse que l’ordre de l’esprit et l’unité de l’âme, et cette tradition, fortifiée d’un âge à l’autre, a effacé de son esprit le souvenir du splendide tout catholique ; bien que sujet aux mêmes appétits d’unité et d’ordre que les autres pensées humaines, il n’est pas obsédé de l’image d’un paradis perdu : de son désordre même il tire un orgueil bien naïf[1]. »
Ce paradis perdu, cette institution catholique de la pensée, de la vie, de la société, il est, pour l’âme de goûts et de formation catholique, mais sans Dieu, deux moyens d’en compenser l’absence. Ou en reconstituer une image : c’est ce que fait Auguste Comte dans son monument de la religion positiviste. Ou en composer une idée, définir le « splendide tout catholique », le « paradis perdu » dans son ciel intelligible et platonicien, le considérer et le construire du dehors, l’apercevoir dans un panorama, le proposer comme un modèle, un type, et penser soi-même d’après les normes qui présidèrent à la réalisation de ce type. C’est à peu près ce que fait M. Maurras. Tournant qui rentre lui-même dans un genre plus étendu et que nous rendait déjà visible ce que nous appelions tout à l’heure la littérature des Génies. Cette idée du « paradis perdu » c’est l’idée de l’Amour telle que la dégage dans le Banquet le mythe d’Aristophane. Nous aimons ce qui nous manque plus pathétiquement et plus consciemment que nous n’aimons ce que nous possédons. Il faut avoir perdu un paradis pour éprouver la douceur amère de le rêver et réunir en nous les forces qui nous reconduiraient vers lui. Pour toute grande réalité, un moment vient où sa beauté faite d’images suspendues et flottantes se répand vers son dehors, où ses valeurs se proposent et se définissent par ce dehors. Ce sont des images du dehors, c’est une distribution dans le passé, pareille à celle des masses d’un paysage, qui constituent de « splendides touts ». Le splendide tout catholique, ressemble au splendide tout classique et au splendide tout
- ↑ L’Avenir de l’Intelligence, p. 108.