nature pour s’installer dans la nature contraire et de retomber d’autant plus carrément dans la première. À ce tempérament oratoire et toulousain paraît s’opposer comme le paysage sec et lumineux de la Provence rhodanienne, le positivisme substantiel de M. Maurras. L’un se meut dans le futur et le possible, dans le milieu fluide qui n’offre qu’une résistance atténuée, l’autre dans le passé et le réel qui conviennent à sa « philosophie des solides ». Le métaphysique et le fluide, eau ou air, sont figurés dans la mythologie spontanée, dans la synthèse subjective de M. Maurras par ces formes d’eau et d’air qu’il appelle les Nuées. On reconnaît exactement les vieilles divinités dont le réaliste Aristophane a groupé le chœur autour du berceau même de la métaphysique. Tout cela se distribue, se voit, d’une manière satisfaisante pour l’esprit, et savoureuse.
M. Maurras n’est d’ailleurs guère plus que Jaurès l’homme du détail et des faits. On ne l’imagine point par exemple écrivant une histoire avec la méthode objective et critique que l’on apprend dans les Universités. Le positivisme de M. Maurras, comme celui de Comte, consiste dans une étude des lois et non dans un groupement de faits. « La généralité est une spécialité », elle est sa spécialité. Il y a là une division du travail, impliquée dans l’exercice ordinaire du cerveau humain, et dont le Cours de philosophie positive explique suffisamment le mécanisme.
« Petit ou grand, dit M. Maurras, le praticien spécialiste se figure qu’il doit commencer par vivre et agir sans savoir autre chose que son métier subordonné. Il subsiste des spécialistes de la raison, mais elle a perdu son empire[1]. » C’est bien cela qu’il représente : un spécialiste de la raison, un docteur en généralité politique. Il a comme Auguste Comte la faculté de concevoir le général, mais, avec un instinct plastique de visuel, celle aussi de le réaliser sous une forme concrète. Les pages qu’il a écrites sur la sculpture grecque, version esthétique de cette double vacuité, tirent de là leur suc et leur sens vigoureux. L’idée du roi, centre de sa pensée, est, en même temps que la plus générale des idées politiques, la plus réelle, la plus vivante, celle dont le contenu imaginatif est le plus riche.
L’ordre politique imite l’ordre scientifique et, comme dirait Leibnitz, symbolise avec lui. Comme les généralités de la philosophie scientifique constituent une spécialité, l’intérêt général implique aussi une
- ↑ Le Pape, p. 267.