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Même raison à l’attitude de M. Maurras vis-à-vis de l’Église. D’abord l’accepter tout entière et n’en point dissimuler honteusement certains aspects, comme le Syllabus, sous prétexte qu’ils sont impopulaires, — la recevoir et la présenter dans son idée intégrale. Puis la convier à réclamer non pas une mesquine tolérance, mais un sort digne d’elle. « Ces Messieurs devaient se borner à promettre au clergé catholique une situation égale à celle des rabbins et des pasteurs du saint Évangile ; mais, de son côté, le nationalisme français avait le droit de reconnaître une dignité politique et morale à l’Église, puisque les services qu’elle a rendus à la France se souffrent pas de comparaison[1] » — Enfin le maximalisme des revendications de M. Maurras et de son journal pendant la guerre, la rive gauche du Rhin, le dépècement des Allemagnes, la guerre qui paie et la Part du Combattant consistent également à intensifier l’action par l’élévation du but, à faire entrer cette grandeur même du but dans ses raisons de se réaliser.

Ainsi M. Maurras, s’efforçant dans l’Enquête d’amener à la Monarchie, en M. Barrès, une magnifique recrue, lui montrait « la volupté de faire quelque chose de difficile, mais de grand. » Le bon sens, la finesse et la prudence que M. Barrès tient des petites gens lorraines lui firent sans doute considérer cette proposition du même œil dont il envisagea celle du jeune Tigrane quand ce séduisant Arménien s’efforça de lui montrer combien il serait beau de renouveler les exploits et la mort de lord Byron en partant pour Trébizonde et en fournissant des secours, même un cadavre magnifique et utile, aux insurgés du Sassoun. Peut-être M. Maurras eût-il, en rappelant le pari de Pascal, touché en les hérédités de M. Barrès quelque racine arverne par le fil de laquelle il eût emporté la forteresse.

Le nerf psychologique de cet argument à figure ontologique, c’est en somme la présence d’une idée-force. Pour une âme grande la force d’une idée peut provenir de son intégrité et de sa beauté. Pour une âme ordinaire elle proviendra de sa facilité. Nous retrouvons toujours ce style dorique que recherche pour gouverner son intelligence M. Maurras.

Sans doute est-ce aux mêmes directions logiques que l’on pourrait rattacher ces arguments à forme étrangement mathématiques de M. Maurras qui ont étonné de bons esprits. Évidemment il faut les prendre cum grano salis, à peu près comme Platon nous engage à

  1. La Politique Religieuse, p. XXVIII.