du Politique d’abord, vous n’admettez point comme le nationalisme prussien de la chaire que l’État constitue une valeur en soi, que l’individu n’existe que par rapport à lui et dans la mesure où il règle et circonscrit cette existence. Vous n’êtes point de Sparte, mais d’Athènes. Personne au contraire n’a mieux que vous spécifié le caractère, la primauté de la liberté, des libertés : vous attribuez à l’État la fonction de respecter, de garantir les unes des autres et de défendre contre le dehors une multitude de petites sociétés qui existent au même titre que lui et avant lui, depuis la famille jusqu’à la province ; vous donnez à votre roi le beau nom de Roi des Républiques françaises. Vous souhaitez la renaissance et la prospérité de ces Républiques. Vous désirez les affranchir. — Oui, précisément comme politique de l’ordre et comme ennemi de l’individualisme. Ce sont elles qui constituent les freins les plus réels et les déterminations les plus justes pour l’individu. Contre l’individu libre, l’individu isolé, l’individu principe, j’ai écrit mon Contr’un. — Vous avez rappelé en effet qu’une grande âme est servitude, qu’elle se mesure à la solidité de la règle supérieure qui la conduit et de l’ordre humain qui l’encadre. Elle est servitude non par ce qu’elle est, mais par ce qu’elle donne, par la discipline qu’elle accepte, l’obéissance à laquelle elle se soumet, l’hommage spontané qu’elle rend. Pareillement l’État, le roi si vous voulez, est liberté non par ce qu’il est, puisqu’il est le premier serviteur de l’État, le premier ministre du roi, ainsi que le disait le roi-sergent, mais liberté par ce qu’il donne, par ce qu’il permet. Une grande âme est une liberté qui se donne une servitude, une loi. Un grand État est une servitude, une discipline qui fonde et qui permet des libertés, qui rayonne en liberté, en droits qu’il confère ou protège. Considérez la société élémentaire, la famille. L’État républicain lui apporte ce que M. Dumont, dans une discussion sur la liberté d’enseignement, appelait le droit de l’enfant, c’est-à-dire la liberté de l’enfant. Votre État à vous lui apporte la liberté du chef, du père de famille. Mais enfin tous les deux vous apportez une liberté, vous vous battez à coups de libertés, comme les chantres et chanoines se battent chez Barbin avec des livres. L’État républicain appelle liberté la possibilité pour l’enfant de choisir plus tard entre des idées qui lui auront été proposées, non imposées. Votre État appelle liberté la possibilité pour le père de faire élever son enfant selon ses idées à lui. Je n’entre pas dans le fond du débat, je n’en considère que la forme. Or dans la forme, aucun des deux partis ne dira, l’un : Je vous apporte la servitude de l’État, et l’autre : Je vous apporte la ser-
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