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M. Maurras accompagne cet « un peu de sang versé » en faveur de l’unité religieuse, le 24 août étant l’anniversaire de la Saint-Barthélemy ?

Que l’unité religieuse et, plus généralement spirituelle, soit un gage de paix sociale, c’est évident. Mais gage aussi de paix sociale que de constituer un petit peuple sans histoire. Ce qui importe ce n’est point tant la paix que la vie, la culture, la puissance, tous les biens qui font qu’un peuple ou une époque laissent une trace profonde ou font une lumière éclatante. Évidemment une religion, de par sa vertu expansive même, implique un vœu d’unité ; un État, de par sa raison organique, constitue un moyen d’unification. L’un et l’autre, de leur intérieur, voient en l’unité un bien. Mais il n’est pas certain que, les voyant et les jugeant du dehors, on doive tenir absolument et sans réserve cette unité pour leur bien.

L’unité comme le repos engendre la corruption. Il n’y a pas d’exemple qu’un grand corps sacerdotal ou laïque, soustrait à l’élection et se recrutant par lui-même, ait pu se réformer. Une fois corrompu comme le veut l’inévitable cours des choses humaines, il ne se reforme que sous l’action du dehors, par une force plus ou moins violente, plus ou moins ennemie, mais extérieure à lui. L’exemple de l’Angleterre et de l’Allemagne nous montre que, si les guerres religieuses furent pour elles un grand mal politique, le résultat de ces guerres, la diversité de religion, fut tourné chez elles, finalement, à un bien religieux. Les Anglais éclairés conviennent que la surveillance, la concurrence des non-conformistes a contribué puissamment à maintenir l’Église anglicane dans sa dignité et sa pureté morale, à la garantir contre les tentations de sa richesse et de son privilège. Il en est de même, en Allemagne, des catholiques vis-à-vis des protestants. Le Play, catholique sincère, considérait la Révocation de l’Édit de Nantes comme un malheur non seulement pour la France, mais pour l’Église : mettant à son service l’injustice et la force brutale, elle la dispensait de vaincre par la dignité de la vie et la pureté des mœurs, elle préparait le clergé amolli du XVIIIe siècle, en vertu de la même loi qui avait fait préparer par la Réforme le clergé vigoureux du XVIIe. Considérez la dégradation des clercs dans les pays de culte orthodoxe où l’unité religieuse se confond avec l’unité nationale. Aujourd’hui l’Église catholique s’est révélée féconde en progrès, riche en hommes de valeur là où elle est une minorité, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne. La crise de l’Église de France est venue en partie de ce qu’elle s’est refusée