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je retiens que, des quatre groupes archistes constitués sur la question religieuse, il y en a deux au moins qui, tels que M. Maurras les conçoit, se composent jusqu’ici de lui seul. Et ce serait d’autant moins savoureux que M. Maurras militerait avec de moindres ardeurs contre l’individu. Peut-être avez-vous entendu parler de cette circonscription écossaise d’avant la réforme de 1832, où un seul électeur s’étant présenté il constitua l’assemblée, fit l’appel, répondit à son nom, s’élut président, parla en sa faveur, se mit aux voix et se déclara élu à l’unanimité ?

Mais enfin si, en dehors du premier, les quatre groupes archistes de M. Maurras n’apparaissent pas comme des réalités sociales bien considérables, retenons que, d’une intelligence catholique, d’une politique positiviste, d’une sensibilité païenne, et d’un zèle que son athéisme empêche de se satisfaire dans l’unité divine, M. Maurras a été dès le début porté avec une irrésistible violence vers cette idée de l’unité religieuse. Le Chemin du Paradis où nous trouvons déjà dans leur jeunesse, leur verdeur et leur fumée toutes les pensées directrices de M. Maurras, disait : « Vous n’entendrez louer nulle part l’unité des consciences, cette excellente condition de la prospérité publique et de l’ordre privé, sauvegarde des faibles, défense des inquiets, forte discipline des forts, et qui mériterait bien qu’on la payât de temps en temps au prix de quelques larmes accompagnées d’un peu de sang versé. Tout le monde l’oublie : c’est à la seule liberté de conscience que vont aujourd’hui tous les vœux. Le droit sens l’admettrait encore, si l’on se contentait de respecter en celle-ci un effet naturel, consacré par l’histoire, de la mollesse et de l’incurie de nos pères, trop lents à se garer des vains fauteurs de nouveautés. Mais est-ce jamais sur ce ton qu’on nous la recommande ? On vante à haute voix cette force exécrable de dissolution et de ruine ainsi qu’un bien tout positif, un gain précieux et une sorte de conquête suprême des âges : comme s’il était rien de beau et de louable en soi dans la division des idées et le désaccord des doctrines ! Conception immonde aux yeux du poète et tout à fait absurde au point de vue du logicien[1]. » Et dans la Politique religieuse M. Maurras s’indigne que M. Hippolyte Parigot n’ait pas honte de « célébrer encore dans le Temps du 24 août 1912 la bienfaisante diversité des opinions[2]. » M. Maurras a-t-il réfléchi qu’aucun autre jour de l’année n’eût été plus mal choisi pour que M. Parigot fît écho dans le Temps à l’hymne dont

  1. Le Chemin du Paradis, p. xxv.
  2. La Politique Religieuse, p. 106.