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fonder sur la pierre immortelle, M. Maurras demeurait mélancolique : il trouvait cette cargaison bien mêlée, et il l’eût choisie autrement. « Rome a propagé l’hellénisme, et avec l’hellénisme le sémitisme et son convoi de bateleurs, de prophètes, de nécromants et d’agitateurs sans patrie.[1] » Puis le style de Rome paraissait médiocre à son goût très épuré, à l’Acropole rétrécie où il installe ses images de perfection. Telle allocution de Henri IV au matin de Coutras « fournirait peut-être un moyen de montrer de combien la fine nature hellénique ou la souple nature gauloise mérite de l’emporter sur le compassé romain[2]. » M. Maurras saluait Rome, mais à quelque distance. Il a été amené vers elle plus par la réflexion politique que par sa sensibilité. Il dit dans Barbares et Romains que son adhésion complète au génie de Rome fut provoquée par les cris de M. Clemenceau contre le « Romain ». Devant ce masque de Kalmouk et de Hun qui au IVe siècle tiré à des millions d’exemplaires, se rua, homme déchaîné, vers la Rome de Léon et vers le Paris de Geneviève, M. Maurras a entrevu dans Rome le nom de famille de la Civilisation, dont les autres noms nationaux ne sont que les prénoms. Il a lancé son : Je suis Romain. Il ne s’est plus souvenu que le consul Marius avait amené à Martigues la Syrienne qui y laissa son nom, mais seulement qu’il avait rejeté, dans les champs de Pourrières à leur élément naturel la première vague des Barbares. À ses yeux les deux Romes, l’antique et la moderne n’en ont plus fait qu’une seule, dont Auguste Comte lui aide à désigner le caractère commun, la positivité : « Je suis Romain par tout le positif de mon être. » Romain par le oui de l’homme constructeur d’édifices, fondateur de familles, œkiste de cités, Romain par la haine du non des démolisseurs, des destructeurs et des barbares. Rappelons même en l’honneur de M. Maurras et pour que son idée figure aussi, comme toutes les idées justes, sur l’Acropole, que les Grecs modernes ont emprunté leur oui, ναί (nai), au parler hellène et au sang antique, mais que leur non, ὄχι (ochi), a été laissé dans leur langue par le yok de leurs anciens maîtres touraniens, les Turcs.

Mais M. Clemenceau, par son masque de nomade de la steppe et par son radicalisme destructeur, ne fit, jusqu’en 1917, que personnifier pour M. Maurras, pittoresquement, la barbarie politique. C’est par le spectacle de cette barbarie et par les idées de la politique contraire

  1. Anthinea, p. 236.
  2. La Part du Combattant, p. 75.