Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/176

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qu’il est amené moyennant un grand détour, à ce romanisme catholique qui n’était point donné dans sa nature et qui fut en lui le produit de la réflexion. Par quelle courbe est-il passé de cette nature à cette réflexion, et comment les sentiments et les raisons qui faisaient de lui un ennemi du christianisme l’ont-ils en s’infléchissant conduit à son apologétique catholique du dehors ?

Dans les mythes du Chemin du Paradis, en ne trouve qu’un seul récit à personnages vivants, la Bonne Mort. Des prêtres honnêtes, un peu lourds, s’en sont scandalisés : ils y ont vu une parodie sacrilège du catholicisme. Il faut le prendre très au sérieux, d’abord comme un document d’autobiographie nuancée, ensuite comme l’exagération, l’idéalisation paradoxale des raisons qui peuvent attacher au catholicisme romain une âme foncièrement païenne, après qu’elle a reçu en la foi chrétienne de son enfance des blessures douloureuses et des occasions de scandale. Le collège des Saint-Cœurs, dont parle M. Maurras, est le collège catholique d’Aix, dont le P. Descoqs écrit : « Comment, dans un tel milieu, tout jeune encore, M. Maurras, aujourd’hui l’apôtre de la tradition, a-t-il pu se détacher de ces dogmes qui le ravirent jadis et de ces pratiques dont le souvenir continue toujours d’enchanter son âme ? Mystère qu’il ne nous appartient pas de pénétrer. » Un membre de notre grand ordre éducateur doit avoir des moyens de pénétrer ce mystère, mais aussi des raisons de s’en taire.

« Le collège des Saints-Cœurs, situé aux portes d’Aigues, sur le penchant d’une colline où sont construits des monastères », est très fidèlement décrit. La Bonne Mort est l’histoire, plus commune qu’on ne croirait, d’un enfant à la vie intérieure et sensuelle très ardentes, qui, malgré tout l’enseignement de l’Église « ne peut placer sa confiance dans la bonté de Dieu ». Toute son aventure, et, je crois, toute l’aventure dramatique de M. Maurras, tiennent dans ces mots du jeune Octave de Fonclare à son directeur : « Croyez, mon Père, que c’est vrai : je manque de l’amour de Dieu. Je ne puis rien faire à cela : je le sens ! » Dès lors Octave doit se croire voué à la damnation. Mais d’autre part il porte le scapulaire de Simon Stock, pourvu de vertus miraculeuses et qui assure à son possesseur la certitude de la bonne mort. « Vingt-deux Souverains Pontifes l’ont reconnu et ratifié. Benoît XIV a fortement blâmé le docteur Launois qui n’avait pas craint d’élever d’insolentes critiques contre cette coutume connue depuis des siècles dans la chrétienté. » Grâce à ce scapulaire Octave pourra mourir en état de grâce sans avoir jamais aimé Dieu. Tout ce que son