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« aux passions leur air de nature, la simple et belle naïveté ». Aussi le Juif monothéiste est-il « un agent révolutionnaire. Le protestant procède absolument du juif : monothéisme, prophétisme, anarchisme, au moins de pensée ». Tout cela s’est installé dans le pays de M. Maurras avec la Marthe qu’y amena Marius. Sorcière d’Asie d’où procèdent la barbarie, le judaïsme, le protestantisme, le Romantisme, la Révolution, le Bloc et « toutes les fureurs dont le bloc est le père », Sycorax qui a pour Caliban M. Reinach de qui M. Maurras écrit que « jamais sorcier d’Asie ne se joua comme lui de la naïveté du peuple des Gaules »[1]. Tel est l’effroyable arbre de Jessé du monothéisme juif, qui plonge dans les marais de Martigues, porte les fleurs vénéneuses du romantisme et dans les hautes branches duquel M. Maurras désigne avec horreur la tête de notre Polybe.

Le monothéisme étant l’anarchie, M. Maurras exalte l’Église catholique pour avoir accompli la tâche miraculeuse d’organiser cette anarchie, de ployer selon l’ordre helléno-romain le sauvage théisme de Sem, d’arracher à l’idée d’un seul Dieu son « venin », de mettre, comme l’autre Marthe, la bonne, au cou de la bête le cordon qui l’amène à la ville, l’apprivoise, et en fait un ζῶον πολιτιϰόν (zôon politikon).

L’Église, selon lui, a organisé l’idée de Dieu. Elle ne laisse passer sa parole que contrôlée par une autorité, incorporée au statut social de la nature humaine. Elle interdit à la conscience de s’adresser à Dieu omisso medio. Elle institue un protocole des relations entre l’homme et Dieu, elle élève la communication de l’homme à Dieu à la hauteur, à la dignité de la société civile, de la société romaine sur laquelle elle s’est modelée et dont ses fondations ont épousé le roc. Interdisant à la fantaisie individuelle d’épouser la matière docile et dangereuse du monothéisme, elle fait au contraire de Dieu une tradition, elle fournit à l’homme une tradition de Dieu, qui canalise et règle la spéculation sur Dieu. De sorte que « le catholicisme propose la seule idée de Dieu tolérable aujourd’hui dans un État bien policé. Les autres risquent de devenir des dangers publics. »

Supplément paradoxal à Bossuet, à la Défense de la Tradition et des Saints-Pères. « Je ne quitterai pas, dit M. Maurras dans la Préface du Chemin du Paradis, ce cortège savant des Conciles, des Papes et de tous les grands hommes de l’élite moderne pour me fier aux Évangiles de quatre Juifs obscurs. Car autant vaudrait suivre le Christ intérieur

  1. Préface de Joseph Reinach, historien, par Dutrait-Crozon, p. XI.