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société temporelle et la société spirituelle. Comme on protège « la chasse contre les chasseurs », l’Église protège l’Évangile contre l’Évangile, mais à son tour l’Évangile protège l’Église contre l’Église, la poussée de la foi contre la pesée du dogme.

Comme un gouvernement entre les partis de résistance et les partis de mouvement, l’Église est dès lors tenue de gouverner entre deux extrêmes et de tenir la crête entre deux versants. L’hérésie qu’elle surveille de plus près, le danger dont elle s’alarme le plus c’est la séparation de l’Évangile et de l’Église contre l’Église, la négation protestante de l’Église au nom de l’Évangile. La racine de presque toutes les hérésies, c’est l’idée qu’à un certain degré d’esprit évangélique l’homme est à lui-même son propre prêtre, n’a plus besoin du ministère symbolique et provisoire de l’Église. Mais l’hérésie elle-même prête à l’Église la doctrine d’après laquelle il y a un degré de catholicisme intégral au-delà duquel l’Évangile devient inutile et même dangereux. Lecomte de Lisle, dans un des Derniers Poèmes, figure un pape du moyen âge à qui le Christ apparaît, et qui lui dit, ou à peu près, qu’il n’a plus rien à faire dans la maison. Mais Leconte de Lisle, républicain rouge et farouche athée, dessine là une caricature haineuse. C’est au contraire avec un zèle parfait que M. Maurras ajoute à la bâtisse romaine ses solides pavés, dont une louable intention est de tuer en passant la mouche protestante. : « De quel droit, dit le P. Descoqs, distinguer l’Évangile et l’Église, le Christ et son épouse mystique ? » Le Grand Être positiviste est l’Église de Comte, mais l’Église catholique de M. Maurras n’est-elle pas une sorte de Grand Être positiviste ? M. Maurras aime à citer la définition d’Anatole France : la République c’est l’absence du roi. L’Église catholique dont il construit la théorie qu’est-ce, sinon l’absence de Dieu ? Nous avons vu M. Maurras, dans la Bonne Mort, mener, par un jeu logique de sa pensée, le catholicisme romain à son extrême et paradoxale pureté, et faire d’Octave de Fonclare, élève des Jésuites, l’Alissa de la porte large.

À cela voici peut-être ce que répondrait l’auteur de la Politique Religieuse : « Tout ce que vous dites contre mon catholicisme du dehors ne serait valable que s’il se présentait comme un catholicisme du dedans. Mais précisément parce que je suis un apologiste du dehors, je ne puis voir l’Église que comme une construction du dehors, je suis obligé d’en éliminer Dieu. Si je croyais en Dieu, je serais un catholique du dedans, un catholique complet. Mais est-il de l’intérêt de l’Église, est-il même de sa doctrine, que son existence, en tant qu’organisme