Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/192

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Et M. Maurras montre que le Pape ne peut sans oublier son caractère, sans anéantir lui-même, par une contradiction, son magistère d’universalité et son ministère de paix, tomber « de l’état de juge à celui de plaideur et du rang de père pacifique et silencieux au rang de fils armé et belligérant ». D’autre part l’esprit de paix entre les hommes ne pouvant être répandu ou accru que par des moyens spirituels, la plus haute puissance spirituelle est la puissance la plus capable de le répandre et de l’accroître « L’Église conseille de déraciner l’avarice. On se battra moins pour le bien être matériel quand les hommes et les peuples en seront un peu détachés. Hors de ce détachement, hors de cet esprit catholique, toutes les perspectives d’avenir sont guerrières fatalement. »

Il est exact que le pouvoir spirituel du Souverain Pontife est un instrument de paix internationale. Mais l’est-il bien précisément en tant que pouvoir spirituel ? L’est-il par le contenu catholique ou simplement moral de ce pouvoir ? Ne l’est-il pas, à peu près au même titre que la Confédération Suisse, comme pouvoir temporel, comme souveraineté neutralisée ? Le Vatican a fait pendant la guerre l’office d’une Croix-Blanche analogue à la Croix-Rouge. — Mais la Confédération Helvétique peut être amenée à prendre parti. Elle se meut sur un terrain politique d’intérêts. Elle peut craindre à chaque instant une violation de sa neutralité et doit entretenir une armée qui est autre chose que la garde rayée de jaune et de noir du Vatican. Ses nécessités de ravitaillement l’obligent à négocier sans cesse pour elle, avant de négocier pour les autres. On ne peut la comparer à une puissance spirituelle comme le Siège romain. — Et le Siège Romain ne doit-il pas négocier pareillement pour lui ? Pour entrer au conseil des nations, peur prendre place autour du tapis vert de la paix, ne doit-il pas triompher de l’hostilité que lui porte son voisin du Quirinal, la neutraliser par sa diplomatie personnelle ? La question autrichienne, la question russe, la question polonaise, ne sont-elles pas pour lui des questions qu’il faut traiter non du point de vue de l’esprit pur, mais du point de vue strictement catholique, des questions qui relèvent d’une politique catholique, d’un « nationalisme » catholique ?

Pareillement, M. Maurras croit-il que l’esprit de paix ne saurait prévaloir dans les rapports internationaux que par le canal spirituel d’un Moral d’abord ? Déraciner l’avarice est-ce possible ? est-ce même utile ? Une société de célibataires comme l’Église, un philosophe sans autre besoin que celui de penser clairement et bellement