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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/197

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Dieu pour principe, l’ordre social pour base, le progrès de l’âme (c’est-à-dire le salut) pour but. Dans ce triple élément. M. Maurras, en défiance contre le premier et le dernier, attribue à la base un primat exagéré. Son hymne à l’Église de l’ordre ne s’adresse qu’aux parties inférieures de l’Église. « En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l’idée et à l’observance du tout, les avis de l’Église éloignèrent l’individu de l’autel qu’un fol amour-propre lui proposait tout bas de s’édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d’êtres et d’hommes, existant près de lui, méritaient d’être considérés avec lui[1]. » Précisément parce qu’elle est un ordre, l’Église classe, hiérarchise tout ce qu’elle contient, et, dans cette hiérarchie la place supérieure appartient à des valeurs mystiques, à une réalité individuelle, au diamant pur de l’âme rachetée : « J’ai versé telles gouttes de sang pour toi. » Le Docteur qui classerait la Politique tirée de l’Écriture Sainte au-dessus de l’Imitation ne serait pas loin de préférer, comme le fondateur du positivisme, Ignace de Loyola à Jésus-Christ. Marthe a nettoyé la maison pour la venue du Sauveur, elle a fait de la Tarasque un animal politique, elle a été la patronne de la Provence. Marie n’a passé sur la terre que pour mener avec le Christ son dialogue intérieur. L’Église a canonisé les deux sœurs, mais à un rang certainement inégal, puisque la meilleure part appartient à Marie.

Enfin l’Église est incorporée à notre tradition nationale. M. Maurras considère l’Église catholique du même œil politique dont un Anglais bien né considère l’Église anglicane. Avec cette différence que l’Église d’Angleterre est chère aux Anglais parce que nationale, tandis que l’Église catholique doit être chère aux Français parce qu’universelle et romaine. Comme elle interpose sa médiation entre Dieu et l’homme, elle figure aussi un médiateur entre l’humanisme méditerranéen et les puissances autochtones du sol français.

Comme Dieu est pour un hégélien la catégorie de l’idéal, l’Église figure, pour M. Maurras, la catégorie de la tradition. Et, puisqu’une nation se construit de tradition, la France, en épousant le catholicisme, double ses forces, ses ressources de tradition. La continuité de l’Église fait partie de notre continuité nationale, lui communique, par une vibration sympathique, sa valeur spirituelle.

Dès lors il serait injuste, selon M. Maurras, d’offrir simplement chez nous au catholicisme une liberté et une tolérance qu’il par-

  1. La Politique Religieuse, p. 386.