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tagerait avec toutes les formes de la pensée et de la religion. Sa place dans l’histoire de France lui donne droit dans la France à une place privilégiée, et non à un privilège tout honorifique et décoratif mais à un privilège effectif qui lui permette de militer efficacement contre ses ennemis. « En adhérant à la Ligue d’Action Française, on s’engage à combattre les influences religieuses hostiles au catholicisme traditionnel, ce qui consacre la situation privilégiée qui, selon nous, est due, entre toutes les confessions, entre tous les cultes, à l’Église catholique sur la terre de France et sur toute terre habitée[1]. » Tous ces termes sont dosés avec le plus subtil doigté. Combattre aujourd’hui les influences religieuses hostiles au catholicisme ne signifie pas combattre demain les confessions religieuses différentes du catholicisme. Celles-ci connaîtront « une honnête licence à l’égard des personnes vivantes. » (Et les corps ? C’est à peu près ce genre de licence que la Révocation de l’Edit de Nantes laissait aux protestants). De sorte que, dans la France de M. Maurras, les cultes seraient libres, mais les cultes suspects de tendance individualiste et anarchiste (protestants ou juifs) seraient surveillés, les cultes archistes, s’il en survenait (positiviste et païen) seraient favorisés, et le culte traditionnel, civilisateur et français (catholique) serait privilégié.

M. Maurras ne se place pas là au point de vue d’un droit abstrait, égal pour tous, mais au point de vue des faits, au point de vue des groupements spirituels que l’histoire a formés, qu’elle a associés à la vie nationale française, et qu’il faut considérer du point de vue d’une tradition et d’un intérêt national. Dès lors ne serait-il pas utile de se demander si cette situation de l’Église catholique, celle d’une Église privilégiée au milieu de confessions tolérées, n’aurait pas déjà existé chez nous, et dans ce cas d’examiner par quel moyen elle a été établie, dans quel sens elle a été entendue, et quel bienfait ou quel dommage elle a pu apporter à l’État et à l’Église.

Or je crois que le seul homme politique du XIXe siècle qui ait réalisé une idée fort approchante de celle de M. Maurras serait Villèle, que M. Maurras lui-même appelle quelque part « le plus appliqué des politiques, le plus avisé des administrateurs, peut-être le meilleur citoyen de son siècle »[2].

C’est en effet le sens de la loi du sacrilège. Je ne sais si M. Maurras

  1. La Politique Religieuse, p. 110.
  2. L’Avenir de l’Intelligence, p. 39.