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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/200

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C’est un devoir pour nous, dit M. Maurras, d’offrir à l’Église une situation privilégiée. Mais si elle trouve la mariée trop belle, ce sera évidemment son droit de la refuser. — Est-ce bien sûr. Quand il parle de privilèges, M. Maurras s’incline devant les théologiens catholiques, comme le cardinal Billot, qui « font observer que ce mot est pris au sens large ; car c’est au nom d’un droit commun strict, le droit de la vérité, qu’ils demandent la préséance du catholicisme ». Renvoyons son Éminence à Pascal pour lui faire entendre que la vérité en tant que telle n’a que faire des préséances, et que ce sont les valeurs sociales conventionnelles qui en ont besoin, qui s’en nourrissent. Mais cette réflexion nous indique bien que l’Église du cardinal Billot ne se reconnaîtrait pas le droit de renoncer à l’un de ses droits : son domaine spirituel, qui contient le droit à la préséance, est inaliénable. Les idées de M. Maurras seront dès lors vues de l’œil le plus bienveillant par le monde de la pourpre et les théologiens romains. Mais il est de braves curés français qui relisent sans doute certain dialogue de leur confrère de Meudon : « Sire, nous vous faisons aujourd’hui plus grand, plus chevalereux prince qui oncques lut depuis la mort d’Alexandre Macedo » et qui se souviennent que tout le résultat, pour Picrochole, ce fut de finir ses jours, après sa déconfiture, comme marchand de moutarde.

Une autre raison pourrait mettre en méfiance certains catholiques, très romains ceux-là, contre l’idée d’une Église catholique incorporée à la tradition nationale et, pour cette raison précise, privilégiée. N’évoque-t-elle pas l’essaim poussiéreux des souvenirs gallicans, et la figure de ces infatigables légistes dont l’argumentation passionnée multiplia sur le chevet de la cour romaine pendant trois siècles les nuits sans sommeil ? Si la place de l’Église dans la tradition nationale exige aujourd’hui que la France l’élève à une situation privilégiée, la vraie tradition nationale n’était-elle pas autrefois de demander pour la France, dans l’Église, une situation privilégiée de fille aînée et majeure ? Cela, M. Maurras, ultramontain résolu, l’appelle la turlutaine gallicane. Il ne veut nul bien au gallicanisme et il introduit contre sa mémoire vivace, sa présence impalpable et son avenir problématique trois sortes de raisons. Il n’appartient pas à notre vraie tradition nationale. Il n’a plus de raison d’être depuis le concile du Vatican. Une Église nationale nous livrerait à Jérusalem et à la Bible.

M. Maurras loue le Syllabus de « n’être pas suspect de concessions