Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/204

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soit le splendide nationalisme intégral de l’Action Française. » M. Hebrard eût demandé à M. Souday s’il était devenu aliéné, et le grand organe républicain eût fait moins bon marché de l’opportunisme que du protestantisme. À M. Souday étonné M. Hebrard eût expliqué que son indifférence dans le premier cas venait de ce qu’il ne s’intéressait pas du tout à l’Église, de ce qu’il la voyait réaliser chez les littérateurs la plénitude de son type avec la même bienveillance distante dont il regardait le gothique épanouir dans la façade de Notre-Dame l’intégrité du sien. Mais quand il s’agit de la politique, c’est une autre affaire. M. Hebrard, de son bureau et de son expérience, voyait la France vivre beaucoup de l’État et peu de l’Église. Or, par son centre, un organisme implique à chacun de ses moments ce qui est la condition de la vie, un « opportunisme ambigu et fade », lisez simplement une faculté d’adaptation. Il n’est pas d’État sans cela. Il n’est pas non plus d’Église vraie, de conscience chrétienne tragique et vivante sans cela. — Vous confondez le spirituel et le temporel, dira M. Maurras. Le spirituel exclut l’opportunisme que le temporel implique. Le vers d’Auguste Comte : Conciliant en fait, inflexible en principe, énonce la loi de tout spirituel, et le Syllabus est là pour nous le rappeler magnifiquement. — Pardon, il s’agit pour M. Souday et pour vous, quand vous considérez ce spirituel, de belles choses réalisant pour vos yeux et pour votre intelligence la plénitude de leur type et non de choses vraies qui ne pourraient la réaliser qu’aux dépens de votre croyance, non de choses bonnes qui ne pourraient la réaliser qu’aux dépens de votre activité et de ce que le Siège Romain appelait au temps de Lamennais hœc detestabilis atque exsecranda dajibertas artis librariœ. Et puis le pouvoir spirituel n’est inflexible en principe que parce que les principes eux-mêmes sont flexibles, peuvent se tourner et s’interpréter dans les sens les plus divers (voyez votre Apologie pour le Syllabus, ô Protagoras !), parce que leur abstraction d’abord, puis le mouvement même de l’intelligence où ils vivent et par laquelle ils vivent constituent pour eux un esprit et une présence de conciliation immanente. Mais enfin, tout ce qui est vie, tant dans l’intelligence que dans l’action, implique conciliation, et tout ce qui est opération esthétique, création d’art, littérature de génies, implique réduction à la plénitude d’un type. C’est bien la plénitude d’un type, une essence religieuse que M. Maurras veut connaître seule en l’Église.

Rien n’est plus digne, en somme, d’intérêt et d’estime que le système de politique religieuse et l’idée du catholicisme romain édifiés par