Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/212

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exercer l’influence que M. Maurras lui propose, parait tout à fait dans la logique du positivisme monarchique. La critique de jugement réussit une fois, à l’origine de la tragédie classique. Mais en 1830 ni Charles X ni personne ne pouvaient faire sortir du nouveau Cid un Horace. Un Maurras de 1830 n’eût pu que conseiller au monarque d’exécuter contre le romantisme destructeur un mouvement tournant et de frapper d’abord à la tête politique. M. de Polignac s’en chargea cinq mois plus tard sans plus de succès. En ce temps là l’art était aisé et la critique difficile.

Mais que la critique fût d’intelligence ou de jugement, le premier soin qu’elle dût honnêtement prendre était de définir son objet. Définir le romantisme une maladie paraît un peu sommaire. Dupuis et Cotonet cherchent d’autres définitions et ils obtiennent entre elles celle-ci : « Le romantisme, c’est l’étoile qui pleure, c’est le vent qui vagit, c’est la nuit qui frissonne, la fleur qui vole et l’oiseau qui embaume… C’est l’infini et l’étoilé, le chaud, le rompu, le désenivré, et pourtant en même temps le plein et le rond, le diamétral, le pyramidal, l’oriental, le nu à vif, l’étreint, l’embrasé, le tourbillonnant, quelle science nouvelle ![1] » Musset a beau se moquer, tout ce qu’il dit là se ramène à cette seule idée, de voir dans le romantisme la forme d’art et même de pensée qui incorpore à la philosophie, à la poésie, au roman (voire même à la peinture devenue une symphonie de couleurs ) le plus possible de ce qui paraissait réservé à la musique. Un poète romantique, un enthousiaste de poésie romantique, peuvent d’ailleurs être inexperts en musique : ce qu’ils réalisent ou aiment dans leur art n’en participe pas moins de la musique, n’en est pas moins une musique. Lorsque M. Barrès, à la Chambre, dénonçait en Rousseau le musicien extravagant, il donnait une définition juste du romantique, à condition de prendre l’épithète dans son sens originel, point défavorable, de l’inquiète sortie, de l’aventure hors des limites, de tout ce qui fait « extravaguer » si délicatement M. Barrès lui-même à la pointe extrême d’Europe, à celle de Sion, à tant de pointes musicales

  1. Dans la même lettre se trouve cette phrase qui contient déjà tous les griefs de M. Maurras contre le romantisme : « Madame de Staël, ce Blücher littéraire, venait d’achever son invasion, et de même que le passage des Cosaques en France avait introduit dans les familles quelques types de physionomie expressive, la littérature portait dans son sein une bâtardise encore sommeillante. »