Il est raisonnable, très raisonnable, de voir le lyrisme vrai dans la strophe contenue d’Horace et de Malherbe et de préférer à une branche luxuriante de fruits le sac de noisettes fraîches que sont les stances de Moréas. Mais le romantisme, lui, établit un primat du grand lyrisme sensuel, comme le classicisme établissait le primat de la tragédie. Pourtant ce primat honorifique n’enferme ni n’épuise la complexe et riche république romantique des lettres, où l’on passe, par transitions insensibles, à des formes qui paraissent fort peu romantiques. Dans quelle mesure par exemple un Balzac, un Stendhal, un Flaubert sont-ils ou non des romantiques ? Un coup d’œil suffit pour mobiliser les deux séries de raisons par lesquelles on plaiderait le pour et la contre. Mais plaidoiries que doivent suivre un exposé du ministère public et un arrêt du tribunal. Et peut-être l’exemple suivant, pris à titre de métaphore, serait-il utile pour fixer sur ce sujet délicat les idées du ministère public. Le fonctionnement du régime parlementaire anglais implique ce principe que le leader de l’opposition joue, en face du gouvernement et presque dans le gouvernement, pris au sens large, un rôle utile, indispensable. Je crois même qu’au Canada il touche un traitement du budget. C’est ainsi que l’opposition au romantisme est, dans une certaine mesure, incorporée au romantisme. Le cas de Flaubert nous montre d’une façon typique comment le romantisme et le contre-romantisme peuvent coexister chez le même homme, se rattacher au même principe, se concilier dans la vivante vigueur d’un grand tempérament littéraire. Aussi M. Maurras a-t-il bien raison quand il incorpore au romantisme les réactions contre le romantisme, mais il a tort quand il argue de là qu’elles ne sont que des réactions apparentes. Le romantisme, selon lui, a eu trois états, romantisme de 1830, Parnasse, symbolisme, « trois états d’un seul et même mal, le mal romantique. Le romantisme de 1830 ne cesse pas en 1860 ; il se transforme et se renforce comme au Consulat la Révolution[1] ». Et M. Lasserre dit à son tour : « La réaction contre-romantique de 1860 est dominée par le romantisme. Et le romantisme gouverne encore celle, si impuissante, qui s’est produite en 1890 contre le déterminisme et le pessimisme[2]. » C’est une loi que toute réaction est gouvernée par l’action contre laquelle elle réagit et sans laquelle elle ne serait pas. Si nous appelons romantisme le primat du lyrisme chez Lamartine
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