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ou Hugo, le contre-lyrisme, discrédit du lyrisme, et appliqué d’ailleurs à l’apologie de la passion italienne nue, sera chez Stendhal romantisme ou conséquence du romantisme. Et l’action et la réaction coexisteront, indiscernables, tant chez Musset que chez Flaubert. Ainsi, à mesure que notre idée du romantisme se moule sur la réalité complexe, nous la reconnaissons mieux jusque dans les colères ou l’ironie qu’elle excite. Ce serait écrire un supplément trop facile à la série d’Émile Deschanel que de traiter ici du romantisme de M. Maurras. Bornons-nous à rappeler qu’aucun être, c’est M. Maurras qui l’a dit, ne peut « rester l’éternel ennemi d’une part de lui-même ».

Passons au côté politique du romantisme, qui touche de plus près M. Maurras. « Ronsard et Malherbe, Corneille et Bossuet, défendaient en leur temps l’Etat, le roi, la patrie, la propriété, la famille et la religion. Les lettrés romantiques attaquent les lois où l’État, la discipline publique et privée, la patrie, la famille et la propriété ; une condition presque unique de leur succès paraît être de plaire à l’opposition, de travailler à l’anarchie[1] ». Voilà le leit-motiv de la lutte contre le romantisme. Il y a là une très grande part d’imagination. Lorsqu’il s’agit du bon parti et du bon temps, M. Maurras cite quatre noms, et il est certain que ces quatre écrivains ont défendu, lorsque l’occasion s’en est présentée, ce que dit M. Maurras. Mais pourquoi, lorsqu’il s’agit des lettrés romantiques, ne fournit-il ni un nom ni un exemple ? Parce que ces exemples se retourneraient en grande partie contre lui.

Pendant toute sa période ascendante, jusqu’en 1843, le romantisme fut, ou bien, avec Lamartine et Hugo, à peu près conservateur en politique, ou bien, avec Gautier et Musset, à peu près indifférent. Aucun des lettrés romantiques n’a contribué, même d’une velléité de son petit doigt, à la révolution de 1830. (Si en 1848 l’Histoire des Girondins descendit dans la rue, ce fut pour en chasser le roi des barricades : c’était le lapin monarchique qui avait commencé.) Au contraire elle est préparée par des voltairiens, des hommes de goût et d’éducation académiques et classiques, comme Thiers, Mignet, Carrel, les équipes du National et du Constitutionnel. Aucun n’a attaqué d’une façon systématique les lois et l’État. Au contraire Victor Hugo, Lamartine, ont réclamé des lois nouvelles, ce que nous appelons des lois sociales : héritiers du XVIIIe siècle ils ont péché seulement par une foi trop candide dans l’efficace suprême et toute-puissante de la loi. Cela

  1. L’Avenir de l’Intelligence, p. 47.