Ainsi le romantisme ne fait pas seulement déchoir le prix de l’ordre, mais le prix encore de ce qui rend belle, en tant qu’elle est redoutée et retardée, la rupture de l’ordre. Cette touche, que l’on croirait d’abord ultra-romantique et qui nous est donnée comme ultra-classique, elle tire, elle aussi et au même titre que le sentiment par elle indiqué, sa valeur de son exception, de son isolement dans la pensée de M. Maurras, de ce qui la fait scintiller comme un pic inattendu, d’ordinaire voilé sous le rideau d’une volontaire nuée. N’atteignons-nous pas là comme un hédonisme transcendant, frère plus aigu et paradoxal de celui qu’aménage savamment l’œuvre de M. Barrès ? Cette vie double, qui à une nature grossière n’apporte qu’hypocrisie, une âme bien née la connaît et la construit comme l’effort, tantôt humainement infructueux, tantôt divinement réussi d’une discipline. Et en effet là culture du XVIIe siècle, les racines de notre art classique, plongent dans ces assises. L’homme d’alors, né chrétien et français, vivait sur deux registres opposés, naïvement et puissamment, celui du monde et celui de la religion. De là, en partie, chez Descartes et chez Pascal, chez Corneille et chez Racine, un invincible dualisme, un perpétuel travail tantôt pour distribuer méthodiquement dans les deux ordres les objets de la nature humaine, tantôt pour ployer et réduire un ordre à l’autre. Ce dualisme fait du tragique le sommet même de cette culture. Dès le XVIIe siècle il est tourné en ridicule par Molière, ou plutôt Molière pose la question sur le terrain comique, tant avec le Misanthrope qu’avec Tartuffe. La franchise d’Alceste annonce si bien le philosophe de Genève que c’est tout juste si Rousseau, lorsqu’il reproche à Molière d’avoir rendu Alceste ridicule, n’estime pas, dans son délire de la persécution, que Molière l’a personnellement visé, — et Camille Desmoulins prétendra reconnaître en Philinte un feuillant, en Alceste un jacobin. Au sentiment de la vie double que la religion catholique entretient savamment, parfois dangereusement, succède une passion de simplicité, de franchise, d’unité.
Donc tandis que le secret de la culture est en partie dans une conscience qui discerne, dans une force qui hiérarchise, dans un frein qui discipline, le romantisme a simplifié tout cela à l’excès. Il a prétendu aller tout droit au bout de tout, il a mutilé la vie en ne la vivant que sur un plan. Et tout cela n’est pas faux, et il faut savoir à M. Maurras le meilleur gré de nous le dire ou de nous le suggérer. Seulement, ici encore, nous ne devons pas oublier de porter en compte au romantisme le bénéfice de nos remarques de tout à l’heure. Il nous a fait