humaines. Peu à peu cette démocratie s’anime, occupe tout, déborde tout, comme le Satyre de Hugo devant l’assemblée des dieux. Elle investit l’humanité et l’espace, pareille à la Nature romantique, avec la puissance d’un élément. On pense aux personnifications panthéistes de Flaubert dans la Tentation de Saint Antoine. C’est en effet à la tentation du vieux solitaire qu’a été soumise l’intelligence du XIXe siècle. Les puissances multiformes du nombre et de la matière se sont imposées d’abord à elle par la force, puis se sont enracinées dans son consentement, se sont fait accepter et flatter. M. Maurras les désigne d’un nom sans honneur : « Taine avait dit le crocodile. Mais, de grâce, pourquoi le crocodile plutôt que le chameau, l’âne et la vipère ? Basse méchanceté, sottise, veulerie, tout cela est républicain-démocratique. Notre ami a trouvé un sobriquet plus synthétique. Il a écrit : la Bête, et tout le monde a reconnu le funeste animal[1]. » Le vicomte de Tocqueville s’exprimait en termes plus amenés : sous les lucides périphrases de la Démocratie en Amérique il pensait parfois la même chose. C’est la même Bête que Renan a introduite dans son Caliban. Mais l’auteur de la Réforme intellectuelle et morale, dégoûté par la nullité des vieux partis, séduit par les prévenances dont la démocratie l’entourait, par la liberté complète et les complaisances aimables qu’elle ménageait à ses travaux intellectuels, montra Caliban en voie de s’humaniser, et d’établir, en succédant à Prospero, un gouvernement sortable.
M. Maurras n’a pas regardé sans effroi l’Intelligence amoureuse, comme Titania, du nouveau Bottom, et caressant, enguirlandant (de fleurs en papier, celles des estrades officielles) ses oreille d’ânes. Devant ce retour offensif des puissances que symbolise le marais de Marthe, il s’est tenu plus ferme à l’autel des divinités poliades et aux pierres du rocher d’Aristarchè. Il a vu dans le vicomte de Tocqueville le successeur direct de ce marquis de la Fayette qui
- ↑ Enquête, p. 155.