Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/230

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Athènes ou en France répondrait aux époques de consommation me fait songer aux pages de la République où Platon compare l’État sain et l’État gonflé d’humeurs, le premier demeurant presque mythique, le second correspondant, dans la description qu’il en fait, aux formes réelles de cités qu’il avait sous les yeux. Cet état gonflé d’humeurs a beau être déclaré malade, il ose vivre, se développer dans ce bruit, ce luxe, ces conquêtes, cette expansion qui constituent pour Platon autant de vices mortels. La Cité Antique de Fustel donne une impression analogue : quand les cités antiques entrent dans l’histoire elles sont déjà en décadence, et c’est pourtant cette période proprement historique, cette pente de leur décadence qui a fait la fécondité de leur vie et l’a rendue digne d’être vécue. Le triomphe de la démocratie à Athènes, qui passe par les trois étapes de Clisthène, de Thémistocle et de Périclès correspond à la grande période productrice et civilisatrice de l’histoire athénienne. Que cette démocratie n’ait existé à Athènes que dans la mesure où la dosait une constitution mixte, d’accord. Que cela ne prouve pas grand chose contre la critique détaillée et précise faite par M. Maurras de la démocratie française, soit. Mais enfin, puisque nous nous occupons ici du jugement général, dogmatique, qu’il porte sur la démocratie en soi, Athènes fournit un premier exemple d’un peuple qui, en démocratie, a produit en même temps qu’il a consommé. Il y en a d’autres. Il y a la Suisse. Il y a les États-Unis, que Tocqueville alla étudier à fond et sur place comme le type le plus instructif de la démocratie. Or le bon état actuel et les chances de durée de la Confédération helvétique et de la République américaine n’impliquent aucune collaboration aristocratique : la Suisse n’a pas d’aristocratie, et celle des États-Unis, toute financière et industrielle, est à peu près viagère, se refait à chaque génération. La Suisse et les États-Unis ne vivent pas évidemment dans les mêmes conditions que nous, et M. Maurras aurait beau jeu à nous montrer les différences. Mais il ne s’agit toujours que de l’idée générale de la démocratie, et de la question de savoir si la démocratie appartient au règne humain et politique où simplement à ces espèces animales, monstrueuses ou immondes, Tarasque ou ver de terre, tout juste capables de manger et de détruire, parmi lesquelles la rangent les imaginations peut-être un peu entières et précipitées de M. Maurras.

On classerait à peu près les idées sur ce sujet complexe en remarquant qu’un pouvoir peut être démocratique de trois façons qui non seulement peuvent ne pas coexister, mais dont l’une exclut assez générale-