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ment les autres. Il est démocratique dans son exercice, quand les décisions importantes sont prises par le peuple assemblé ainsi que cela se passait dans les républiques antiques et, aujourd’hui, dans les pays de référendum comme la Suisse. Il est démocratique dans sa source quand il est exercé par des mandataires élus au suffrage universel, comme c’est le cas en France pour le pouvoir politique, comme c’était le cas dans les constitutions de la fin du XVIIIe siècle, celles de nos Assemblées révolutionnaires et celle qui régit encore les États-Unis d’Amérique, pour les pouvoirs politique, administratif, judiciaire et même religieux. Il est démocratique dans son effet quand il est exercé, quelle qu’en soit la source, au bénéfice de la « classe la plus nombreuse et la plus pauvre » (le langage courant donne à cet état de démophilie le sens de démocratique lorsqu’il appelle par exemple l’abaissement des tarifs de chemin de fer une mesure démocratique). « La Monarchie, écrit M. Maurras, comme la Science, est réaliste. Elle ne se paye point de mots. Elle voit les choses et tient compte des plus infimes. Si la démocratie était, comme on le dit, un fait économique, et s’il existait, réellement, un état démocratique de la société, la Monarchie, comme la Science, en tiendrait compte avec scrupule. Mais la démocratie, on l’a bien dit, n’est qu’un mensonge[1]. » M. Maurras entend-il par monarchie la cité abstraite sur laquelle règne avec une majesté louis quatorzienne sa belle intelligence ? Les monarchies de l’Europe, à commencer par celle des Hohenzollern, ont tenu compte de l’état démocratique puisqu’elles lui ont fait sa part, puisque le Reichstag, élu au suffrage universel avec les garanties rigoureuses d’un vote secret, ses cent députés socialistes, était une pièce essentielle de leur empire. — Attributions réduites, socialistes domestiqués, impérialistes. — Peut-être. Il n’y en avait pas moins en Allemagne, que vous le limitiez ou que d’autres l’allongent, un état démocratique, une démocratie tout court, une Sozialdemocratie, toutes choses dont la monarchie impériale et royale tient autant de compte que la monarchie royale française de demain tiendrait de compte des états français analogues et dont elle savait se servir.

L’artifice de M. Maurras consiste à élire dans le sens complexe et mouvant que la vie politique a donné au mot démocratie tous les éléments négatifs et destructeurs, à dénommer aristocratiques ou monarchiques tous les éléments positifs et constructeurs. Il y a quelques

  1. Enquête, p. 117.