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interdits. Ensuite il y aurait certainement une méthode plus positive et plus paisible pour traiter ce problème des aristocraties que soulève M. Maurras. Ce serait de considérer tous les éléments héréditaires, corporatifs ou collectifs qui subsistent chez nous, de les classer selon leur utilité générale, selon leur influence croissante ou déclinante, de rechercher en un mot quelles sont dans la France actuelle les formes survivantes d’aristocratie sur lesquelles un pouvoir est susceptible de s’appuyer.

Un ami de M. Maurras, qui figure dans son Enquête, Hugues Rehell, a écrit un ouvrage appelé Union des trois aristocraties, celles de la naissance, de l’intelligence et de la fortune, dont il préconise l’accord. En réalité il n’existe qu’une aristocratie possible, la première. M. Maurras le dit fort bien : « Une aristocratie est bienfaisante non de ce qu’elle se compose de gens bienfaisants, ou bien pensants, ou bien pourvus, mais de ce qu’elle se transmet avec le sang, de ce qu’elle est liée à l’avenir de la Patrie par l’intérêt héréditaire[1]. » Or la crise d’aristocratie que nous traversons ne provient pas de ce que l’aristocratie de naissance soit morte, puisqu’elle existe, et qu’il serait injuste de la juger d’après les caricatures envieuses des gens de lettres, mais de ce qu’elle n’est plus considérée comme liée à l’avenir de la patrie. Dans un État vigoureux, l’aristocratie de naissance se nourrit et se perpétue par un contact continuel avec l’aristocratie de la fortune ; il n’y a pas union de l’une et de l’autre, mais subordination de l’une à l’autre, ascension de la seconde à la première. La fortune serait peut-être encore une aristocratie puisqu’elle se transmet, et qu’elle a une valeur généalogique. Mais c’est pour les démocraties une grave erreur et un grand danger que de penser se fonder sur une aristocratie intellectuelle. Une élite intellectuelle est aussi peu une aristocratie que la propagande pour l’arbitrage international, très utile en soi, préconisée tout à l’heure par mon député, ne constituait une politique extérieure. L’intelligence ne représente pas l’ordre des valeurs qui durent, mais, selon le point de vue, celui des valeurs individuelles et viagères, ou celui des valeurs idéales et éternelles. Je parle de l’intelligence des intellectuels, celle dont M. Maurras étudie les destinées dans l’Avenir de l’Intelligence. Elle n’a aucune qualité pour fonder une aristocratie, elle a qualité pour entretenir un pouvoir spirituel qui désigne, décore et sanctionne une aristocratie existante : M. Maurras dans les derniers paragraphes de

  1. Enquête, p. 229.