Cette maladie de l’orléanisme rentre elle-même dans un ordre plus général : la monarchie, qui a fait l’unité française, qui s’est identifiée à cette unité, s’est trouvée maladroite, désemparée, inhabituée devant une France divisée. Elle a cru — non le roi, mais le génie immanent de la monarchie — s’adapter à cette division par sa propre division. Elle n’a fait qu’y ajouter et qu’en mourir. Prisonnière de ses habitudes héréditaires d’humanité, de bienveillance et d’accueil, ne se concevant pas elle-même sans l’assentiment des cœurs et la bienvenue des yeux, gâtée par cette fidélité du long hymen qui l’avait associée à la nation, elle avait perdu ces réactions spontanées de défense grâce auxquelles le danger intérieur et les luttes des partis l’eussent rencontrée aussi prête que la trouvait le péril extérieur. De là ce manque de foi, ce découragement qui, au moment où la moindre goutte du sang de Henri IV eût dû les faire sauter à cheval, font monter Louis XVI dans la berline de Varennes, Louis XVIII dans le carrosse de Gand, Charles X dans la voiture de Cherbourg, Louis-Philippe dans le fiacre du Carrousel, Henri V dans le train de retour de Versailles à Frohsdorff et courir le Bourbon des Rois en Exil derrière l’omnibus d’où on lui crie : Complet !
Evidemment toutes ces révolutions ont été des malheurs, et aucun des monarques qu’elles ont frappés n’avait laissé péricliter entre ses mains l’essentiel des destinées nationales : « Louis XVI, dit M. Maurras, laissait à la France une armée et une marine ; la Restauration une magnifique situation en Europe ; Louis-Philippe l’organisation militaire créée par la loi de 1832, j’entends les troupes de Crimée[1]. » C’est exact. Mais aussi Louis XVI laissait la Révolution, Charles X laissait « la meilleure des Républiques » et Louis-Philippe laissait la pire. La monarchie, capable de conserver ne se montrait pas capable de réformer. « Réformer pour conserver, dit le duc d’Orléans dans l’Enquête, c’est tout mon programme. » Parfaitement, mais c’est là pour la monarchie la sagesse de l’escalier. Quand elle a réformé pour conserver, ainsi que l’ont fait Louis XVI avec Turgot et Louis XVIII tout le temps qu’a duré son règne bienfaisant, ses efforts ont rencontré un plein succès. Le malheur a voulu qu’elle n’ait pas su persévérer, et c’est là que nous saisissons la deuxième cause de l’absence du roi. La monarchie s’est trouvée désemparée devant les transformations comme elle était désemparée devant la division. Elle a succombé en 1789
- ↑ Une Campagne Royaliste, p. 32.