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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/259

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compacte manière. Mais il est devenu plus branlant, il a déchu.

Le trou par en haut est créé par ce fait qu’il n’y a personne, que nous sommes gouvernés non par Ulysse, mais par ce nom qu’il laisse au Cyclope comme son fantôme : Personne. La République n’est pas seulement l’absence du roi, elle est l’absence de la République elle-même : « Ce sophisme du gouvernement existant peut échapper parfois à l’étourderie de quelques bons Français, inattentifs à cette vérité évidente que la bonne République, restant à établir, n’est pas plus en vie que la Monarchie[1]. » Le raisonnement vaut ce qu’il vaut : si M. Maurras veut démontrer à la République ce que le Docteur démontre au Pierrot posthume, pendu et dépendu, de Théophile Gautier, à savoir qu’elle est morte, ce diable d’homme est bien capable d’y réussir.

J’ai de semblables cas fait une longue étude,
Et les pendus jamais n’ont bien longtemps vécu.
Mais, pour que vous soyez pleinement convaincu,
Je vais vous disséquer

En 1906, avant que M. Sembat lançât sa formule, M. Maurras analysant un article idyllique et attendri où M. Henri Chantavoine chantait les louanges d’un nouvel hôte de l’Elysée, M. Armand Fallières, le citait et le commentait avec le sourire : « M. Fallières n’aura ni « saisissement » ni mouvement de « vanité » en s’éveillant à l’Elysée chaque matin. M. Fallières n’aura point d’infatuation ni de solennité. M. Fallières ne sera pas « salué par des hérauts d’armes au manteau bleu de roy fleurdelysé ». Il ne fera pas, il ne dira pas, il ne sera pas… Tant de négations, sous la plume d’un habile écrivain, sont excellemment significatives, elles nous témoignent assez que, pour M. Chantavoine qui s’en réjouit, comme pour l’abbé Lantaigne qui s’en désole, la République en France n’est qu’absence de prince : c’est quelque chose qui n’est pas ce que l’imagination et la sensibilité de la France peuvent s’attendre à voir au sommet de l’État[2]. » M. Fallières était ainsi commis par la Constitution pour figurer le rôle insubstantiel et aérien du trou par en haut. C’est là la forme la plus pittoresque de présenter la question. Ce n’est pas la plus précise.

  1. La Politique Religieuse, p. L.
  2. Id., p. 278.