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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/262

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cation de M. de Witt. Peut-être, quand il eût ruminé tout le cas en sa tête, jugea-t-il que ce que disaient, coupées du reste, les deux premiers mots de Guizot pouvait être bon à faire, mais restait mauvais à dire. Et voilà exactement, toujours, notre trou en haut. L’État, obligé d’assumer un pouvoir spirituel, d’édifier dans le bleu une cité de Dieu, se croit obligé d’avoir à son sommet cet esprit, ce bleu, ce vide, pareils à ceux qui donnent sa lumière au Panthéon de Rome. M. Maurras, reprenant à destination des poilus, en un Enrichissez-les, cet Enrichissez-vous ! dans la Part du Combattant, remarque : « Nous sommes gouvernés par le plus vain et le plus sot esprit de stoïcisme et par son inévitable frère jumeau l’esprit d’hypocrisie. Mais si nous osons une fois retourner à la saine et franche nature, si nous parlons avec netteté, rondeur, cordialité, on sera stupéfait du changement qui se produira dans les choses…[1] »

En matière politique, l’auteur d’Anthinea relève de la poule au pot et non de l’oiseau bleu. Son réalisme qui sympathise si bien avec des abstractions comme la preuve de saint Anselme s’appuie d’autre part sur une large base toute naturaliste. Il prend l’homme tout simplement comme un individu qui veut son bonheur et aussi son plaisir, ainsi que ceux de ses enfants parce qu’il les aime, et ceux de ses concitoyens dans la mesure où il les voit associés et nécessaires aux siens. Il fait son deuil, ici, de l’idéal et du transcendant : « Savez-vous la réputation qui commence pour nous. ? C’est celle d’un Sarcey politique, ce sera bientôt celle d’un Sancho Pança, puis d’un M. de la Palice… Nos constructions sont d’un bon sens fort doux, même un peu gros[2]. » Je penserais plutôt au réalisme rustique des Attiques et des Latins, au nationalisme précis, étroit, d’Aristophane et de Caton.

D’une façon générale la conception réaliste, sarceyenne si l’on veut, de M. Maurras, tend à maintenir la nécessité matérielle de la force contre le concept oratoire du droit, la vérité positive de l’intérêt contre l’exigence verbale de désintéressement, la chair et les os de la personne contre la nuée abstraite de l’impersonnel.

« Le droit pour s’imposer et même pour subsister a besoin qu’on le fasse valoir, qu’on le soutienne et qu’on le publie. Il suppose l’activité, ou s’évanouit peu à peu dans le sang et les cendres des hommes massacrés et des édifices incendiés, puis dans le froid sublime de ces

  1. La Part du Combattant. p. 36.
  2. Le Dilemme de Marc Sangnier, p. 38.