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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/261

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Wallon, qui faisait de la République le gouvernement de la France, avait été voté par une voix de majorité, il se soit écrié : « Et quel est donc l’imbécile qui l’a donnée, cette voix ? » Admettons que le maréchal, monarchiste dans l’âme, ait pensé au premier moment qu’une voix supposait des cordes vocales, une tête, quelqu’un. Il put se rendre compte ensuite qu’en régime républicain une voix représente un abstrait, un chiffre. Cette voix n’était celle de personne, ou était celle de tout le monde, — en réalité personne n’en était responsable, pas même M. de Witt, le dernier votant de la majorité par ordre alphabétique, à qui Mac Mahon, selon une variante de la même légende, prétendait la faire endosser. Une curieuse ironie des choses l’a mise, cette voix solitaire et anonyme, à l’origine de la République comme un souverain aussi mystérieux que le Putois de la famille Bergeret. Impondérable elle symbolise excellemment le vide, l’espace béant et circonscrit du trou par en haut.

Elle le symbolise mieux que ne le fit le pondéreux Fallières. Néanmoins le souvenir de ce gros homme ne sera pas inutile à notre examen. Un jour de sa présidence, M. Fallières s’ébattant sur l’estrade de quelque inauguration ou au mousseux de quelque repas dans l’éloquence démonstrative qui était le propre de son métier, rappela avec une pitié scandalisée le mot de ce bourgeois de Guizot : « Enrichissez-vous ! » Ce n’était pas la République qui donnait au peuple ces vils enseignements ! Élevez-vous sans cesse vers plus de vérité, de lumière et de justice, conseillait éperdûment le chef de l’État… M. Cornélis de Witt, gendre de Guizot, prit la plume, et, dans une lettre à M. Fallières, rectifia avec courtoisie la citation. Le discours de Guizot disait simplement : « Enrichissez-vous par le travail, la probité et l’économie », devenez des électeurs en payant le cens, élevez-vous de la même manière que s’élevait la bourgeoisie de l’ancien Régime, appartenez à des familles qui feront l’étape dont parlera ingénieusement M. Faut Bourget… Guizot, qui avait une vie spirituelle véritable et qui écrivit de fort belles Méditations chrétiennes, ne mêlait point ce spirituel au politique. Il donnait, dans les discours qu’il était amené à prononcer, des conseils aussi matériels que la poule au pot de Henri IV ; mais Lamartine, la Révolution du mépris et le « la France s’ennuie ! » étant passés par là, l’éloquence de M. Fallières se présentait avec un grain diaphane de sel entre ses doigts délicats, le grain que chaque auditeur était convié à aller placer sous la queue du petit oiseau bleu. Je ne sais ce que M. Fallières pensa de la rectifi-