Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/280

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selon son époque, des modes de centralisation et de décentralisation différents, et si M. Maurras poussait en matière esthétique et sentimentale l’archaïsme jusqu’à rêver sérieusement d’un sacre à Reims (quand Reims vivait) pour Philippe VIII, il ne songe nullement à emprunter à l’ancien régime ses formes corporatives et locales. Son système politique consiste, ainsi qu’il est naturel dans un vieux pays comme la France, à redistribuer la centralisation, à desserrer par en bas la centralisation réelle dans la mesure où par en haut la centralisation personnelle s’établira. Tocqueville avait déjà expliqué lumineusement la différence entre la centralisation politique, nécessaire et la centralisation administrative, néfaste. M. Maurras définit ainsi les mesures utiles de décentralisation réelle : « Reconstitution des provinces, autonomie des Universités, suppression du partage égal des héritages, reformation de puissants patrimoines industriels et fonciers, autonomie syndicale, autonomie confessionnelle, voilà exactement ce que notre passé conseille, ce qui manque à notre présent, ce que notre avenir réclame[1]. » On reconnaît le programme, adapté aux temps actuels, de l’ancien parti agrarien qui, à l’époque la plus favorable, de 1815 à 1830, lutta avec insuccès pour l’imposer. La décentralisation réelle que réclame M. Maurras est celle qui enracine des familles-souches, crée ou favorise des corps, ayant pour matière physique, comme les familles, la propriété. La démocratie, qui a une tendance à détruire ou à limiter ces fondations, n’a d’ailleurs pas les mêmes antipathies contre les associations personnelles, dont elle limite plutôt le droit de posséder que le droit d’agir. Les associations que M. Maurras a contribué à fonder, Institut d’Action Française ou Camelots du Roi, jouissent d’une liberté assez complète pour tout ce qui est action politique ou spirituelle. Je ne sais si la monarchie restaurée selon ses vœux laisserait les mêmes libertés aux associations républicaines. Mais, d’après son programme, elle réserverait ses faveurs, comme les ultras de la Restauration, aux sociétés et aux corps dont l’organisation cadrerait avec ses principes. Je ne veux pas amorcer un débat sur la décentralisation, question en laquelle je suis incompétent, et qui nécessiterait une connaissance approfondie de l’administration française et du Bottin des départements. Il y a, me semble-t-il, d’excellentes choses dans les mesures que M. Maurras nous annonce comme devant être mises immédiatement à l’étude par le pouvoir monarchique

  1. Enquête, p. XXXIII.