Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/282

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poète ? Je pense à de nobles pages ondoyantes et prophétiques dans les discours de Lamartine. Et ses lignes m’évoquent aussi la butte de Troie où l’archéologue retrouve jusqu’à six villes superposées et où il est très difficile que les tranchées et les fouilles ne mèlent pas les vestiges des unes et des autres. Dans cette « vraie France, cette France réelle » qu’évoque M. Maurras, dans ce « plexus riche et subtil », voici du passé, de toute date, du présent de toute venue, de l’avenir de toute figure, et voici de cet idéal et de cet intemporel qui flotte sur les limites et sur l’horizon de tous trois. Évidemment l’analyste, l’historien strict sont déroutés et devant ce mariage de la vieille province historique et du syndicat ouvrier ils songent à l’hymen de la République de Venise et du Grand Turc. Mais le capoulié Arnavielle, en les vers charmants que traduit ici M. Maurras, écrit à la suite de la Comtesse mistralienne. Si nous sommes en poésie, nous sommes encore à même une vérité. L’art plastique et définiteur de M. Maurras, ici visible, anime et vivifie toute une dialectique, toute une doctrine politique. C’est son honneur d’avoir mêlé sur son Acropole provençale, comme son dorique et son ionique encore, la raison positiviste et l’imagination félibréenne.

VIII
THÉORIE DE LA FRANCE

C’est un honneur, c’est aussi un peu une peine et une déchéance. M. Maurras est venu à son œuvre politique pour des raisons qu’il déplore. Fontenelle, recevant à l’Académie Fleury, alors précepteur de Louis XV, lui adressait cette louange : « En initiant notre jeune prince à tout le détail de son métier, vous vous rendez inutile autant que vous pouvez. » Ce que des éditeurs, plutôt béotiens, croyant à une faute, rectifient en la platitude d’un : « utile autant que vous pouvez ». M. Maurras se résigne à se rendre utile, avec l’espoir de devenir un jour inutile, avec le regret d’un bel âge d’or, qu’il effleura, et où son esprit amoureux des idées et des formes se fût livré aux jeux de la haute culture et de l’inutilité supérieure. Sa pensée et son action,