la Bourgogne offre avec Bossuet, Buffon, Lamartine, l’image harmonieuse, l’union amicale et forte de toutes nos puissances vivantes, la figure même de la grande route royale et française. C’est à elle peut-être que s’appliqueraient des lignes comme celles-ci : « Les Français modernes, dont les pères ont été trop heureux et qui ont besoin d’être avertis de la gravité d’une épreuve que tout prépare, ne trouveraient nulle part ailleurs (que dans la Divine Comédie) d’avertissement plus complet ni aussi pressant. Cette leçon de Dante pourra suffire à leur inspirer de la vigilance. Par ce grand personnage de la plus haute élite humaine de tous les temps, ils pourront éprouver par le cœur et les yeux ce qu’est une terre conquise et ce que vaut un noble peuple s’il a eu le malheur de se laisser recouvrir par la barbarie[1]. » Il convient que l’altissimo poeta figure la pointe extrême, la flèche de lumière d’un bastion élevé sur les bords de la mer latine.
Les alpinistes estiment que le panorama du Cervin serait le plus beau des Alpes s’il n’y manquait précisément le Cervin. La littérature de bastions, en considérant la France d’une lisière, d’une frontière, intègre, par un détour, autant que possible le point de vue français dans le tableau même de la France. Ce tableau depuis Michelet nous apparaît comme un morceau de géographie humaine, comme un ordre dans l’espace. M. Maurras, plus sensible à l’œuvre de formation historique de la France, le conçoit comme un ordre dans le temps, comme une tradition organique et choisie : « Par delà la Révolution, par delà Jean-Jacques et Genève, qui nous embrouillèrent de germanisme et de bibliomanie, par delà l’anarchisme hystérique soufflé de l’Orient, il existe une noble et pure tradition de la France, bien reconnaissable à ce qu’elle est heureuse pour les Français, que les œuvres inspirées d’elle réussissent complètement et que hors d’elle nous ne réalisons rien de pur. » Tradition, analogue à une conscience, et qui se développe harmonieusement d’un intérieur ; bonheur et pureté c’est-à-dire santé ; qualité d’un beau corps et d’une belle vie, — tout ce qui fait que nous pouvons adresser à un être, à une chose, les paroles d’Ulysse à Nausicaa, à cette figure de palmier délien vers laquelle l’âme naufragée marche nue et boueuse. Cette tradition on ne L’incarnera pas dans une idée préconçue, messianique et raide, on ne l’étalera pas sur le lit de Procuste d’un concept auquel elle devra s’ajuster. On la verra fleurir spontanément comme une bonne fortune, comme une conquête
- ↑ Intr. à l’Enfer, p. XLV.