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de butin[1]. » Il s’est tenu des deux mains à ces deux bouts de la chaîne, le spirituel et le matériel : qu’importe si les chaînons intermédiaires traînent parfois dans des ténèbres un peu confuses ?

X
L’IDÉE DU ROI

Une préoccupation doit primer aujourd’hui, pour une pensée politique, toutes les autres : le maintien de la société, le salut public, les conditions nécessaires pour que le laurier décore à nouveau la pensée sur les fronts, pour qu’un riche butin comble encore des bras intrépides. Mais cet ordre d’intérêts, dans sa suite et sa solidité, n’est possible que s’il est soutenu par un ordre plus vivant et plus profond, un ordre de sentiment qui est la patrie, faite de notre terre et de nos morts. C’est à cet ordre que s’en tient M. Barrès. M. Maurras, lui, remarque qu’au temps de notre prospérité monarchique ce sentiment demeurait implicite, à fleur de terre, s’exprimait peu. Je ne sais même si au fond le sentiment pur et nu de la patrie ne paraîtrait pas à M. Maurras un sentiment dangereux, si par exemple le déroulédisme et le barrésisme ne lui ont pas inspiré une méfiance rentrée, qu’il lui était impossible de professer ouvertement. Je m’explique.

Si par exemple le Tableau de la France de Michelet ne trouve pas grâce devant ce traditionaliste, c’est, disions-nous, qu’il correspond dans l’Histoire de France, à ce qu’est dans l’Histoire de la Révolution la Fête des Fédérations. Les Fédérations, comme la France du Tableau, c’est pour M. Maurras une France factice, précaire, décapitée, une France qui se reconnaît ou se constitue sans le roi. L’Angleterre, a dit Michelet, est un empire, l’Allemagne une race, la France une personne. Cela, pour M. Maurras, ne signifierait rien. Ce qui est une personne, c’est le roi ; ce qui est une personne continuée, perpétuée,

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 222.