Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/299

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réalisée sous une forme plus personnelle, Idée de l’intérêt général dans l’espace en tant qu’il constitue une nation, et dans la durée en tant qu’il institue une tradition « soit que, à petites journées, le bâton de touriste à la main, on hume délicieusement le parfum de chaque fleur de France, soit que, dans une course brusque, on respire en un seul coup le composé français essentiel, il faudrait être dénué de tout cœur et de tout esprit pour ne pas élever sa reconnaissance sensible et intellectuelle vers ceux qui nous ont procuré ces joies[1]. » Ces lignes d’Amouretti dessinent la pente qui conduirait des Amitiés Françaises à un sentiment et à une raison monarchiques. L’idée du roi s’impose à l’intelligence de M. Maurras avec le caractère plastique, réel et vivant des formes sculpturales qu’il analyse dans la Naissance de la Raison. La reconnaissance du cœur se fond ici avec une connaissance de l’esprit. La Théorie de la France impliquera, comme son noyau une théorie de la dynastie capétienne, et cette théorie de la dynastie impliquera une action pour la restauration capétienne. Cette théorie et cette action, cette image nette du délégué à la durée ne sont autre chose que le sentiment et l’exigence de la vraie durée française. M. Maurras ferait siens le suc et la sève du discours de d’Aubray dans la Satyre Menippée : « Nous demandons un roi et chef naturel, non artificiel ; un roi déjà fait et non à faire… Le roi que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vrai parterre des fleurs de lis de France, jetton droit et verdoyant du tige de saint Louis. Ceux qui parlent d’en faire un autre se trompent et ne sauraient en venir à bout… On peut faire une maison, mais non pas un arbre ou un rameau vert ; il faut que la nature le produise, par espace de temps, du suc et de la moelle de la terre, qui entretient la tige en sa sève et vigueur. »

Il ne s’agit donc pas, pour M. Maurras, de l’idée monarchique abstraite, comme il y a une République abstraite, il ne s’agit pas d’un prince quelconque, il ne s’agit pas, surtout, de la dynastie commençante et usurpatrice des Bonaparte. La science de la bonne fortune intervient pour nous en faire rejeter la pensée. La monarchie capétienne, en huit cents ans a fait progressivement la France ; la monarchie corse l’a laissée défaite à Waterloo et à Sedan. « On a beau dire que ce ne serait pas le même empereur, ni la même constitution impériale ! Ce serait toujours la maison de Corse, la maison d’un parti, d’un clan, d’un plébiscite, non la maison de France visitée par l’ombre de tous nos

  1. Enquête, p. 398.