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sur le corps germanique, où un quieta non movere franco-autrichien paraissait à de sages politiques, comme la guerre de la ligue d’Augsbourg l’avait montré, la ligne de conduite la plus sûre ; les Pays-Bas ne pouvaient être occupés et gardés qu’au prix d’une longue guerre européenne et Vergennes montra une grande clairvoyance en refusant toutes les offres astucieuses de troc faites par Joseph II.

La France de l’ancien Régime comme celle de la troisième République, tourna alors son expansion du côté de la mer, engagea contre sa rivale coloniale la guerre d’Amérique, se refit avec le Sénégal, les Antilles et Saint-Domingue, un domaine d’exploitation fort honorable, et s’appliqua du côté de la Méditerranée à des desseins à longue échéance. Choiseul acheta la Corse, les bureaux mirent à l’étude la question d’Égypte, et Charles X, en 1830, ne fit que continuer la politique bourbonienne : ce n’est point un hasard si Alger fut la dernière conquête sur laquelle aient flotté les fleurs de lis.

M. Maurras admire sans doute comme moi cette solidité politique, mais contre quelqu’un. Quand des circonstances semblables, et trente nouvelles années de paix continentale, conduisent les hommes d’État de la troisième République à une politique analogue, il écrit : « Nos expéditions coloniales doivent être comprises comme des dérivatifs allemands, acceptés par notre gouvernement en vue d’entreprises financières favorables à ses amis. Nul plan d’ensemble[1]. » — Il est exact que jusqu’en 1904 notre expansion n’a pas été gênée par l’Allemagne, pour des raisons évidentes ; il est non moins exact qu’en un temps et en un pays quelconque il n’y a pas de mise en valeur sans entreprises financières, et qu’il n’a jamais été, qu’il ne sera jamais mauvais pour un financier d’être l’ami du gouvernement. Quant à la question d’un plan d’ensemble, elle est complexe. La conquête coloniale, telle surtout que l’a déterminée depuis 1880 la carrière ouverte en Afrique, n’a comporté pour aucun pays un plan d’ensemble préconçu. La logique coloniale est une logique a parte post. Chaque puissance commence par se garnir les mains le plus possible et de tous côtés ; puis, lorsqu’il faut unifier cette diversité, consolider et mettre en valeur ces acquisitions, naissent les plans d’ensemble. Ainsi un plan d’ensemble impérieux commande à l’Angleterre l’acquisition de Malte en 1814, de Chypre en 1877, de l’Égypte en 1882-1904, mais ce plan d’ensemble est déterminé par la possession des Indes et par le

  1. Kiel et Tanger, p. II.