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problème de leur route. Dans le continent africain lui-même, les plans d’ensemble, pour la France, l’Angleterre et l’Allemagne, sont venus après des conquêtes sporadiques, au jour le jour, faites sans dessein général préconçu, à la suite de voyages d’exploration, de raids militaires ou d’entreprises commerciales privées. Ainsi la dorsale du Cap à Alexandrie, la jonction du bloc africain par le lac Tchad, la réunion des possessions allemandes en un grand empire équatorial obtenu si possible sur le Congo français et belge et l’Afrique portugaise. Là où existe déjà un empire consolidé, où les éléments du problème sont posés, un plan d’ensemble peut et doit être conçu : c’était le cas pour notre Afrique du Nord qu’il s’agissait de mettre en valeur, de compléter et de défendre, ce dont la République s’est acquittée fort convenablement en complétant l’Algérie par ses deux ailes.

Cette analogie entre la politique royale et la politique républicaine, on ne saurait évidemment la conduire jusqu’au bout. Il faut tenir compte de deux grandes différences qui légitiment en partie Kiel et Tanger.

D’abord la République n’a point coordonné sa politique d’après l’état des forces qu’elle pouvait mettre en jeu pour l’appuyer. Après la guerre de Sept ans, Choiseul qui veut rendre à la France sa puissance coloniale, relève la marine, noue le Pacte de famille, achète la Corse. Mais le jour où la hâte de ses préparatifs et la hardiesse de sa politique vont nous conduire à une guerre contre l’Angleterre, guerre prématurée et qui risquera de tourner mal, Louis XV le congédie sans attendre de mise en demeure étrangère et sans se laisser surprendre par un pavé comme celui de Tanger. Vergennes cueillera le fruit qui sous Choiseul n’était pas mûr. Si lassé, découragé et insoucieux que Louis XV fût devenu à cette époque, si dommageables que fussent les rivalités et les concurrences des départements ministériels où, faute de chef présent à tout, les services — guerre, marine, affaires étrangères, — tiraient déjà dans les jambes les uns des autres, on n’approchait pas, alors, de ce que signale M.  Maurras : M.  Hanotaux conduisant la reprise de la question égyptienne dans le même ministère où l’amiral Besnard inaugurait les quinze années de notre décadence maritime, et M. Delcassé se hissant, pour regarder l’Allemagne en face, sur les épaules du général André et de M.  Pelletan. Mais la guerre de 1914 allait montrer de grandes monarchies, Allemagne, Angleterre, Russie, Italie, Roumanie, aussi mal en point que la République pour proportionner leurs desseins politiques à leurs forces militaires. La