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Il cite avec complaisance une ligne de Lockroy, selon qui notre empire colonial « ne recèle pas les richesses qu’on lui attribue ». La belle autorité ! Mais son principal grief est celui que nous avons déjà mentionné, que cet empire colonial est la chose la plus fragile et la plus vulnérable du monde, faute de marine capable de le défendre. On trouve ici à l’état typique tout l’avantage oratoire, tout l’élément de vérité et tous les signes locaux de fragilité qui accompagnent souvent, dans Kiel et Tanger, les démonstrations de M.  Maurras.

Remarquons d’abord qu’il n’y a pas de politique coloniale et même de politique quelconque sans risque. L’Allemagne s’était créé un empire colonial relativement important. Elle savait parfaitement que sa marine n’était pas de taille à le défendre contre l’empire britannique, et de fait elle l’a perdu entièrement pendant la guerre. Était-ce une raison pour ne rien faire ?

« Nos actions d’Asie et d’Afrique, dit M.  Maurras, toutes déterminées par des affaires financières, demeurent exposées à finir comme de mauvaises affaires. Pour expliquer un tel procédé, l’inconscience de la République, son absence de mémoire et de prévision doit rentrer en ligne de compte : aucun régime, si médiocre et si nonchalant qu’on veuille le supposer, n’eût conçu ni même supporté, en les connaissant, ces incohérences. Il faudrait reculer les frontières de l’ineptie pour imaginer le gouvernement qui se dirait : « Partons coloniser sans nous assurer d’une flotte ! » Un petit État sûr de sa neutralité, la Belgique, ne l’a pas osé, et c’est le roi Léopold II appuyé sur l’adhésion de l’Europe entière qui a tenté le Congo à titre personnel ; la création d’une marine belge aura été l’idée fixe de ses derniers jours, elle est reprise et continuée par le jeune roi qui l’avait soutenue comme prince héritier[1]. » M.  Maurras trouve Fichte, dans ses Discours, beau de « cécité volontaire ». Ne participe-t-il pas ici à ce genre de beauté ? Il va de soi qu’un empire colonial implique l’existence d’une flotte marchande, et l’état de la nôtre ne passait point, à la veille de la guerre, pour brillant, mais l’appât des échanges coloniaux était la meilleure façon de l’améliorer. Cependant M.  Maurras ne veut parler ici que de marine militaire. Or voit-on la Belgique défendant sa colonie avec des vaisseaux de guerre ? Contre qui ? Contre l’Allemagne, l’Angleterre, la France ? La vérité est que tous les empires coloniaux du monde, belge, hollandais, français, allemand, italien, américain, — avaient ou ont la certi-

  1. Kiel et Tanger, p. 128.