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système anti-allemand de M. Delcassé. Mais de l’un à l’autre, comme avant l’un et l’autre, la même logique et les mêmes principes apparaissent dans leur continuité. Tanger (et pourquoi pas Fez et Casablanca ?) n’est point le contraire de Kiel, mais la suite de Kiel.

Le canal Empereur-Guillaume, inauguré devant toutes les flottes du monde, signifiait que l’Allemagne devenait puissance maritime en même temps que coloniale, qu’une partie de son avenir était sur l’eau, — et bientôt elle figurait, au lieu de la France, la deuxième puissance maritime du monde. Rigoureusement, c’est de Kiel et non de Metz qu’elle est partie en 1914 pour l’aventure où elle s’est brisé les reins. Elle prenait donc automatiquement, en face de l’Angleterre, la place de rivale que nous occupions depuis Colbert. L’échiquier européen se compliquait, et les rapports franco-allemands, entraînés dans les rapports anglo-allemands, cessant d’avoir pour axe l’Alsace Lorraine, tournaient autour de la question qui nous mettait jusqu’alors aux prises avec la seule Angleterre, celle du partage de l’Afrique. L’Angleterre, devant cette nouvelle rivalité, devait liquider naturellement avec son ancienne adversaire, comme la France le fit avec l’Autriche en 1756, les questions jusqu’alors litigieuses ; de là les accords de 1904. La politique de M. Delcassé restait, comme celle de M. Hanotaux, africaine et coloniale. Ni l’un ni l’autre ne disait Alsace-Lorraine. L’un disait Égypte, et l’autre Maroc, mais jusqu’à la guerre, comme Rabelais disait jusqu’au feu, — exclusive. Les deux questions étaient du même ordre, mais d’importance différente : la « réouverture » de la question d’Égypte ne pouvait nous intéresser au même degré que la possibilité de compléter par le Maroc la France africaine du Nord. En tout cas ni l’un ni l’autre, pour personne, ne valait une guerre : la France ne fit pas plus la guerre pour le Soudan en 1898 ou pour le portefeuille de M. Delcassé en 1905 que l’Allemagne elle-même n’était alors disposée à faire la guerre pour le Maroc. Les accords Caillaux liquidèrent la question marocaine avec l’Allemagne, comme les accords Delcassé avaient liquidé la question égyptienne avec l’Angleterre. Ce qui sortait de tout cela c’était un bloc français de Casablanca à Tunis comment peut-on dire que le gouvernement qui l’a constitué n’a pas fait fructifier la graine tombée à Alger, en 1830, des dernières fleurs de lys ?

Il est vrai que, d’une façon générale, cet empire colonial sans doute parce qu’il nous vient en grande partie de la République — timeo Danaos — est considéré avec beaucoup de froideur par M. Maurras.