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ment même de ma politique[1]. » Dans l’ordre logique. Mais sans doute dans l’ordre du temps ces théories sont-elles survenues pour confirmer et décorer une attitude politique déjà imposée par des influences plus proches et une raison plus nue. « Mon ami Maurice Barrès s’est publiquement étonné que j’eusse rapporté d’Athènes une haine aussi vive de la démocratie. Si la France moderne ne m’avait pas persuadé de ce sentiment, je l’aurais reçu de l’Athènes antique[2]. » Évidemment M. Maurras envoyé à Athènes par le directeur de la Gazette de France qui, nous dit la dédicace d’Anthinea, « vit aller et revenir le visage d’un homme heureux », a rapporté en cette matière l’essentiel de ce qu’il avait emporté, et le bon M. Janicot vit aussi aller et revenir la pensée d’un royaliste. Ç’aurait été mettre beaucoup de fantaisie en ses opinions politiques que de les laisser modeler ou modifier par des formes de rocher, des présences de temples, des dieux de musée, et de revenir à son journal comme, après son voyage de Rome, le moine Luther à son couvent. On ne doit pas partager l’étonnement de M. Barrès. Il y a plusieurs raisons pour que l’on puisse aimer M. Maurras, et les principales sont des raisons françaises. Mais d’autres sont raisons à figure singulièrement athénienne. Comparant dans la petite ville corse, française et grecque de Cargèse le curé de rite latin et le pappa de rite grec, M. Maurras estime que « les prêtres de notre rite font une assez triste figure, avec leur joue rasée, la douillette étriquée, la chasuble façon tailleur. Ne les comparons pas au majestueux héritier du manteau et de la barbe philosophique[3]. » Est-ce de cela, est-ce d’autre chose, que certains prêtres de notre rite, si j’en crois l’Action Française et la Religion Catholique, lui ont gardé ce que la mule du pape d’Avignon garda dix ans à Tistet Védène ? Je ne sais trop. Mais j’ai toujours considéré en M. Maurras un authentique héritier des attributs philosophiques qui parurent d’abord aux jardins d’Athènes et que Julien, ce Maurras antique, transporta dans Lutèce et sur le trône impérial. Son éristique, et ce que l’on appelle sa sophistique, et cette passion forte, lumineuse, ardente d’argumenter, de harceler, de railler et de convaincre me rappellent le mode de penser et de vivre qui s’établit avec Socrate et se maintint si longtemps, comme le goût du terroir dans les écoles philosophiques d’Athènes. L’idée fixe de

  1. L’Action Française et la Religion Catholique, p. 139.
  2. Anthinea, p. vi.
  3. Anthinea, p. iii.