Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre temps aura été, en fin de compte, la restauration, en France, de l’idée du roi. S’il a posé l’« immense question de l’ordre » il ne l’a pas posée stérilement, en théoricien pur, mais en constructeur artiste, comme Auguste Comte d’ailleurs qui ne la séparait pas du Grand Être. Dans le corps français, construit en dix siècles sur une ossature de quarante rois, il était juste que cette idée fût retrouvée. Je veux, sur ces terrasses de pure spéculation, laisser de côté la question de politique pratique et actuelle. Si la rupture de la France et de sa famille royale fut incontestablement un grand malheur, ce n’est pas une raison suffisante pour que leur réunion soit recherchée par tous les moyens comme un bien actuel évident. Beaucoup d’autres facteurs interviennent, que c’est l’affaire des praticiens de discuter, et j’en ai touché légèrement quelques mots au cours de ce livre. Mais la restauration de l’idée royale doit être envisagée en elle-même comme un bien, pour la lumière et la force qu’elle projette dans notre passé, pour le sens intérieur avec lequel elle nous permet de vivre notre histoire, pour l’air humanisé et intelligent dont elle enveloppe à la façon de Poussin le paysage français. Devant la statue qu’est la France, la critique de M. Maurras, fleur suprême de la critique littéraire par laquelle il débuta, fut vraiment une critique créatrice de valeurs : elle nous a fait sentir bien des dessous, bien des muscles, bien des raisons d’équilibre et d’expression dans ce marbre autour duquel nous tournons et où nous reconnaissons les puissances épurées de notre propre vie. L’œuvre n’est pas finie, — soit que M. Maurras en complète un jour les parties hautes par cette Théorie de la France qu’il nous annonçait il y a vingt ans comme une des tâches de son âge mûr, — soit que le cours du temps et la vie naturelle de l’esprit la reprennent, comme il semble inévitable, pour la mêler aux éléments qu’elle paraissait d’abord impliquer le moins — soit que l’idée française du roi, l’idée politique, se retire et se cristallise dans l’idée royale de l’intelligence, devienne pareille au diamant le plus pur de tous qui reste seul au Louvre des trésors de la couronne, et pareille à cet homme royal qui est, et non pas l’État, la fin de la République de Platon.