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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/325

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admirer Shakespeare comme une brute ne satisfont peut-être ni tous les vrais Français ni tous les bons shakespeariens.

Mais on ne revient pas d’Athènes sans profit. Ne croyons pas que la divine mesure soit étrangère à M. Maurras. Ne croyons pas que ce nationaliste intégral porte l’idée exclusive de l’intérêt français avec une bonne conscience. Il ne demande qu’à la réintégrer, à la subordonner dans un ordre spirituel et matériel, à recomposer l’harmonie entre les deux hémisphères de son cerveau. Il reconnaîtrait sans doute facilement que cette idée, lorsqu’elle est déchaînée dans un peuple, risque d’y tout bousculer et d’y tout compromettre, comme celle de l’intérêt individuel lorsqu’elle s’installe libre et vorace dans une conscience. L’expérience quotidienne nous montre que le sentiment de l’intérêt est, chez l’individu, décanté, rendu sain et bienfaisant par la fondation d’une famille. C’est pareillement l’intermédiaire d’une famille qui pour M. Maurras donne à l’intérêt national ses puissances de mesure, de sagesse, d’humanité. L’idée de l’intérêt français a sa place normale dans la vie, la personne el surtout la famille d’un individu de chair et d’os, que neutralise une fiction bienfaisante née de la même source que ces fictions de l’intelligence abstraite par lesquelles l’homme établit de l’ordre dans les phénomènes et se rend capable d’agir sur la nature. Le nationalisme intégral, le parti exclusif des intérêts français sont des formes aussi hors nature et aussi désordonnées que les formes ennemies qui les ont forcées de se lever et de prendre pour les combattre leur figure et leurs armes. M. Maurras a mené pendant la guerre une campagne dans son journal pour montrer que l’ancienne monarchie ne pratiquait pas un nationalisme immodéré, — que Louis XV, Louis XVI, Louis XVIII, Louis-Philippe, princes pacifiques, ont été affaiblis ou renversés par une opposition mangeuse d’Autrichiens ou d’Anglais, enragée de guerres qui auraient tourné ou qui tournèrent réellement très mal, — que Louis XIV qui avait accepté les guerres d’un cœur trop léger en fit au moins à son lit de mort son acte de contrition, et qu’on attend encore cet acte des régimes qui nous conduisirent à Moscou pour en ramener l’invasion. Peut-être retrouve-t-on dans les canons de l’Action Française pas mal de boulets tels que les Belle-Isle, les Girondins, les anti-pritchardistes en employaient autrefois contre cette politique royale. Mais reste ceci, l’essentiel, qu’il n’y a pour M. Maurras qu’une idée souveraine, celle du souverain, et qu’une idée qui occupe la place royale, l’idée du roi.

L’œuvre essentielle et solide de M. Maurras dans ces trente années