Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/38

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athénienne, on peut lui reconnaître autour de l’Acropole sinon trois origines, au moins trois affinités.

D’abord l’esprit critique, si vif à Athènes, Athènes fut le pays de la démocratie, mais aussi celui où l’on ridiculisa le bonhomme Demos. Socrate fut condamné comme adversaire des démocrates, comme tournant en dérision la constitution démocratique, et en somme toutes les coutumes sur lesquelles reposait la forme de l’État athénien ; mais avant de boire la cigüe à soixante-dix ans, il avait été laissé pendant quarante ans parfaitement libre en ses propos. Cette fois il fut accusé par un père de famille de corrompre la jeunesse, entendez de lui inspirer, comme la lecture du « sophiste » Maurras (bon pour la Haute-Cour) l’a fait à des fils de parlementaires, le mépris de la constitution démocratique. Et précisément il semble que la démocratie ait été plutôt, à Athènes, l’opinion des vieillards, des hommes mûrs et modérés, et l’oligocratie une doctrine des jeunes gens. La démocratie se confond tellement avec tout le passé d’Athènes qu’elle a toute la force d’une opinion conservatrice. (Et Tocqueville a montré que la démocratie est au fond parfaitement conservatrice. Gouvernement d’exploitation, non de construction, dit à son tour M. Maurras). Le fils de Philocleon (ami du démagogue) est dans les Guêpes un Bdelycleon (l’ennemi de Cleon). Il y eut à Athènes tout un mouvement critique où nous retrouvons non seulement ce que M. Maurras a de plus fort, mais ce que Tocqueville a de plus fin. Ainsi Platon montrant dans le Politique que ce qui caractérise la démocratie c’est la faiblesse ; « elle n’est capable ni d’un grand bien ni d’un grand mal, parce que les pouvoirs y sont divisés par parcelles entre beaucoup », — et concluant que dès lors la démocratie anarchique est le meilleur des mauvais gouvernements, la démocratie réglée le pire des bons gouvernements.

Ensuite, la disposition de l’esprit athénien à réaliser des idées générales. La notion du roi idéal n’a aucune racine politique dans l’Athènes démocratique. Les sophistes et les rhéteurs d’Athènes, et le Xénophon de la Cyropédie, et l’Isocrate des discours, vont chercher à l’étranger leur type monarchique, de même qu’au XVIIIe siècle les philosophes du despotisme éclairé, qui ne trouvent pas chez eux leur sage législateur, le saluent en Frédéric II, en Joseph II, en Catherine II. La comparaison de Voltaire chez Frédéric et de Platon chez Denys a été faite souvent. Mais en même temps la notion humaine du roi se forme chez Platon par un procès analogue à la notion dialectique du