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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/43

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appartement les Enfants de la Veuve. — Quant aux Métèques, ce n’est évidemment pas moi qui transporterais du moderne dans l’antique, c’est M. Maurras qui introduit le grec dans le contemporain. Les métèques sont une chose d’Athènes : tantôt un avantage et tantôt un danger pour Athènes, en tout cas une pépinière de citoyens nouveaux. Tout ce qui répand Athènes à l’extérieur, tout ce qui la tire de la plaine vers la Paralie et du terrestre vers le maritime, tout ce qui la fait être moins une cité passe par les métèques. Les vieux Athéniens se plaignent (voir la Constitution attribuée à Xénophon) non seulement de leur trop grande place, mais de la place envahissante des esclaves eux-mêmes.

Le nationalisme de M. Maurras s’installe ainsi dans la conception la plus inflexiblement étroite de la cité antique pour la défendre contre ce qui la dissout et la répand au dehors. Ce n’est pas un simple nationalisme français, c’est un nationalisme général qui s’étend à toutes les patries de son intelligence. Très bien ; mais enfin ses trois nationalismes athénien, romain et français se contredisent quelque peu. Parce qu’Athènes et Rome n’ont pas été des cités et des civilisations de la « porte étroite », elles se sont incorporé le monde barbare, elles ont permis une France. À quelqu’un qui lui demandait aigrement ce qu’il serait sans la Révolution, un plébéien ami de M. Maurras répondit sans sourciller : « Fermier général ! » Sans la voie large où s’engagèrent Athènes et Rome, sans la ϰοινή (koinê) de la civilisation grecque, ou si vous voulez gréco-sémite (contamination qui remonte, nous l’avons vu, à l’Odyssée), sans ces Gaulois que leur vainqueur « le divin Jules » fit entrer dans son Sénat et dans ses armées, un Martegal qui ne serait pas devenu Français ne serait devenu non plus ni archonte éponyme, ni consul — pas même de Cassis. M. Maurras se déclare Romain « parce que Rome, dès le consul Marius et le divin Jules jusqu’à Théodose mourant, ébaucha la première configuration de sa France[1]. » Français donc parce que Romain, et Romain parce que Français, mais non Romain parce que Romain. Ce que M. Maurras ne peut nier de la civilisation matérielle de Rome, il le nie de la civilisation intellectuelle d’Athènes. Toutes deux pourtant n’en font qu’une. Toutes deux ont civilisé en élargissant leurs murailles. Et après tout nous trouvons ici le cas que nous présentent à l’état nu la dualité primitive des tribus endogamiques et exogamiques.

  1. La Politique Religieuse, p. 395.