Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/55

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paraît point pur de tout albigisme, puisque l’histoire est en somme pour lui une lutte de l’ordre et du désordre, de l’organisation et de la Révolution, de ce qui est enchaîné, au sens heureux de l’art oratoire, et de ce qui est déchaîné comme le gorille féroce et lubrique de Taine. Le mythe qu’il a édifié sur Martigues porte tous les traits des vieux mythes grecs sur le combat de l’ombre et de la lumière, Python et Apollon, le marais et le rocher.

Martigues s’appelle ainsi de la sorcière syrienne Marthe qui suivit Marius dans sa campagne contre les Cimbres et les Teutons, se fit craindre et vénérer par le général romain et son armée, et rendit probablement ses oracles vers ces marais de l’Étang de Berre qui gardèrent son nom, et ne gardèrent jamais de syrien que ce nom : « Ainsi le nom général de toutes nos provinces, la France, ne désigne pas le caractère gallo-romain qu’elles ont en commun, mais la petite horde franke qui leur a donné quelques rois[1] ». Pour la petite comme pour la grande patrie de M. Maurras, nomina numina, mais leurs numina malfaisants.

La sorcière de Marius, à laquelle M. Maurras ne veut nul bien, symbolise tout ce qui par la Méditerranée nous est venu de juif, et même tout ce qui y descend aujourd’hui de juif. « Marthe avait de grands dons, l’impudence, l’entêtement, la solennité de l’affirmation religieuse, et beaucoup de souplesse. Cela est juif[2]. » Et Marthe se confondit pour le peuple avec une autre Juive, venue au siècle suivant avec Lazare et Maximin, l’une aujourd’hui des Santo segnouresso qui accueillirent Mireille dans leur paradis. Même celle-là, M. Maurras qui désirerait aveugler en son littoral provençal toute porte de l’Orient, la regarde d’un œil sévère. Et pourtant n’est-ce point de sainte Marthe que le bon Tourangeau Jules Lemaître voulut faire dans un conte délicieux en Marge de l’Évangile, la patronne de la Patrie Française, la douant avant tout de mesure et de finesse, et admirant qu’une sainte d’esprit si modéré soit devenue, par une ironie du sort, la sainte des Méridionaux ? Mais M. Maurras trouva toujours la Patrie Française plus ingénue qu’ingénieuse, et il estime que le Midi eut toujours de la modération à en revendre au Nord. La vraie Marthe demeure pour lui la sorcière des marais :

  1. Anthinea, p. 241.
  2. Id., p. 238.