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« En un endroit que le navigateur Pytheas aurait comparé au visqueux élément du poumon marin, près d’un étang, entre une eau épaissie de bourbe et le sol toujours détrempé, sur des lits d’une algue confuse et pestilentielle, cette femme syrienne affola tout ce que le pays contenait de rustres et de goujats[1]… »

M. Maurras déplore que cette Syrienne ait été conduite et honorée par un Romain qui est dans Anthinea « le plus grossier des soldats », mais qui dans Barbares et Romains « fut le premier à ébaucher la première configuration de la France ! » Que Rome n’a-t-elle défendu plus durement avec les armes de son pouvoir l’hellénisme contre le sémitisme, distingué « l’Hellène pur de l’Hellène contaminé par l’Asie[2] ! » Mais les puissances d’hellénisme et d’ordre ont déposé sur le rivage de Martigues leur juste figure par l’image d’Aristarchè.

C’est un petit marbre trouvé dans une petite île des Martigues. Un texte de Strabon, d’une concordance parfaite avec tous les détails de l’image, permet d’affirmer qu’elle représente une dame Éphèse, qui sur la foi d’un songe suivit les Phocéens fondateurs de Marseille et fut dans la nouvelle colonie la première prêtresse de Diane. Elle se nommait Aristarchè « nom bienheureux pour cette fondatrice de colonie » et le bas relief la représente au moment où elle s’embarque, avec la statue de la déesse, pour la nouvelle Ionie destinée en Provence aux Phocéens. « Si nous voulons entendre battre le cœur de l’homme antique, l’occasion nous en est proposée dans ce petit marbre. Depuis le sol éphésien, près d’un arbre sans feuillage, jusqu’à l’élégante nef de Phocée, ce qui passe, ce qui franchit le feston de la mer, sur cette planche oblique, c’est autre chose qu’une sainte femme exaltée, c’est le corps, c’est l’âme vivante de la religion, et dans ce corps, et dans cet âme, une tradition, une politique, une patrie, une intelligence, des mœurs. La ville de demain est comprise dans la déesse. Elle charge l’épaule délicate d’Aristarchè. La mer, les vents, le ciel, la destinée n’ont plus qu’à se faire propices : moyennant quelque sourire des conjonctures, Marseille lèvera des semences mystiques enfermées dans dans cette poitrine et sous ce beau front[3]. »

Les divinités intelligentes qui ont mené à Martigues le marbre d’Aristarchè préfiguraient sans doute par ce beau nom et cette belle

  1. Anthinea, p. 239.
  2. Id., p. 237.
  3. Id., p. 229.